vendredi 27 mars 2015

Quand un majeur disparaît

LE MONDE ECONOMIE | Par 


180 personnes, environ, chaque année sont enterrées sous X.


Carine, 25 ans, n’a ni domicile fixe ni travail. « En 2011, après plusieurs tentatives de désintoxication, elle a confié à sa mère la garde de ses deux enfants, pour rejoindre des compagnons d’infortune, confie avec pudeur sa tante, Isabelle. Mais elle est toujours revenue pour fêter les anniversaires de ses enfants et leurs Noëls. »

Fin 2014, cela n’a pas été le cas, et sa famille s’est inquiétée. « Début janvier, sa mère et moi sommes allées au commissariat de police de Cannes pour signaler sa disparition. Malgré une après-midi d’attente, aucun officier ne nous a reçues. L’employée de l’accueil, auprès de laquelle nous avons protesté, a téléphoné à un supérieur. Elle nous a dit ensuite que le commissariat ne pouvait prendre notre plainte au motif que “Carine est majeure et qu’elle fait ce qu’elle veut”. »
Isabelle a alors demandé de l’aide à l’association Assistance et recherche de personnes disparues (ARPD). Son président, Thierry Coulon, explique que « ce genre de refus est courant », depuis que la procédure de « recherche dans l’intérêt des familles » (RIF) a été supprimée, par une circulaire du 26 avril 2013, lorsque Manuel Valls était ministre de l’intérieur. « La RIF avait été créée à la fin de la première guerre mondiale, pour aider les civils à retrouver des poilus », dit-il.


Quelques centaines par an


Près d’un siècle plus tard, le ministère a jugé qu’elle n’avait plus d’intérêt, bien que les demandes de recherches de cet ordre soient encore de quelques centaines par an. La circulaire de 2013 invite les forces de l’ordre à « orienter les demandeurs vers les réseaux sociaux sur l’Internet, qui offrent d’intéressantes possibilités ». Ces derniers n’ont plus qu’à laisser des avis de disparition sur Facebook ou sur le site d’associations, la puissance publique n’ayant pas créé de plate-forme les regroupant.

La suppression de la RIF désole les familles et les associations qui les épaulent. « Avant, on pouvait signaler n’importe quelle disparition de majeur », explique Jean-Yves Bonnissant, le président de Manu-Association. Lorsque la police ne la jugeait pas suspecte, elle se contentait d’une enquête succincte, auprès des services administratifs, prévue dans le cadre de la Rif. Si elle retrouvait la personne, elle lui signalait que ses proches s’inquiétaient, et lui demandait si elle était d’accord pour leur donner ses coordonnées. Si cette dernière ne le souhaitait pas, la police les en avertissait.
« Depuis deux ansse désole M. Bonnissant, les policiers n’enregistrent plus que les disparitions de majeurs qu’ils jugent inquiétantes » : celles de personnes vulnérables (âgées, handicapées, dépressives, suicidaires), protégées, ou qui s’accompagnent d’éléments prouvant que quelque chose d’anormal s’est produit. Les autres ne sont plus prises en compte.

Pour rechercher les disparus dont la police ne veut plus s’occuper, les familles font désormais appel à des détectives privés. « Le travail est extrêmement simple », assure Jean-Claude Le Badezet, gérant de l’agence morbihannaise ABC Investigations, qui s’en est fait une spécialité, et qui prend quelque 600 euros en cas de réussite. « Les personnes disparues volontairement n’osent pas revenir, mais, quand on leur dit que leur famille les réclame, elles reprennent contact », observe-t-il. Un constat que partage M. Coulon, qui procède à des recherches bénévolement.


Mauvaise rencontre


Mais il arrive que le disparu ne soit pas retrouvé. Les familles sont alors hantées par l’idée qu’il puisse mourir sans qu’elles le sachent, ce qui leur interdirait tout deuil. « Avant, la police inscrivait son nom au fichier des personnes recherchées », indique M. Coulon. Lors d’un simple contrôle d’identité, les forces de l’ordre pouvaient tomber dessus. Désormais, lorsque la police ne juge pas sa disparition inquiétante, elle n’y inscrit plus son nom. Elle ne dépose pas non plus d’ADN au fichier national des empreintes génétiques.

Si le disparu fait une mauvaise rencontre, comme le craint l’entourage de Carine, et qu’il décède, sans aucun papier d’identité, que se passera-t-il ? Si l’on retrouve son corps, une autopsie sera entreprise pour connaître les causes du décès. Si la mort est jugée violente, des prélèvements ADN seront effectués. Mais, bien sûr, ils ne trouveront pas de correspondance dans le fichier national des empreintes génétiques.

Si la mort est jugée « naturelle » – ce qui est aussi le cas lorsqu’une personne, même anonyme, décède sur la voie publique (crise cardiaque) ou à l’hôpital –, « aucun test génétique ne sera effectué, faute de ligne budgétaire », indique un représentant de la place Beauvau.

Les parents ont donc bien quelques raisons de craindre que leur disparu ne soit enterré sous X, ce qui est le cas de 180 personnes, environ, chaque année.

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