mercredi 18 mars 2015

Les jours des réseaux mémoire sont-ils comptés ?

09/03/15
Après avoir bourgeonné sur le territoire français, les réseaux mémoire voient lentement mais sûrement, leurs crédits amputés. Ces dispositifs étaient pourtant présentés à l'époque comme LA réponse à l'organisation des soins de ville en matière de diagnostics précoces et du suivi des patients.

L'ENQUÊTE

Apparus sur le territoire au début des années deux-mille dans le sillon de la loi du 4 mars 2002, les réseaux de santé se sont organisés autour de quatre grands principes : l'accès aux soins, la coordination, la continuité et l'interdisciplinarité. Réaffirmés par la circulaire de 2005 relative à l'application du plan Alzheimer, les réseaux mémoire présageaient des jours heureux, à l'instar de leurs homologues relatifs au cancer, aux soins palliatifs, au diabète et à la périnatalité. L'objectif affiché par les pouvoirs publics pour 2007 parle de lui-même : un dispositif de consultation mémoire est prévu pour 15 000 personnes âgées de 75 ans et plus, entérinant alors la perspective de création de près de 350 dispositifs sur l'Hexagone.


Financés en premier lieu par le fonds d'amélioration de la qualité et de la coordination des soins de ville (Faqcsv) puis par le fonds d'intervention régional (Fir) une fois les ARH reconstituées en ARS, ces réseaux ont permis aux professionnels libéraux de faire connaître leurs velléités de collaboration aux grands plans de santé publique. Ainsi, et afin d’améliorer l’accès et la qualité du diagnostic, neurologues, gériatres, orthophonistes et neuropsychologues libéraux ont travaillé à faire de la médecine spécialisée de ville un lieu privilégié pour anticiper la maladie. Reste qu'une bonne dizaine d'années plus tard, ces derniers voient leurs financements se tarir.

Quand Norra Berra réaffirmait la place centrale de l'hôpital

Qualifiée de "dément démantèlement" par Rémy Fromentin, ancien directeur général de l'Union régionale des caisses d'assurance maladie (Urcam) du Languedoc Roussillon, dans La lettre de Galilée, cette stratégie doit à l'évidence se lire sous le prisme des problématiques de trésorerie de l'État. Il y voit cependant une seconde explication : lacirculaire du 20 octobre 2011, signée Nora Berra, alors secrétaire d'État à la Santé sous le régime Sarkozy.

Présentée comme un moyen de structurer une offre graduée sur le territoire, la circulaire prévoit surtout, pour Rémy Fromentin, de s'assurer que la "médecine de ville [soit] confinée à son rôle de rabatteuse de patients vers un hôpital omniscient". En chargeant les ARS de labelliser les spécialistes libéraux afin que ces professionnels orientent directement les patients vers les consultations mémoire hospitalières, le texte conforte en effet l'existence d'un système hospitalo-centré, et, aux yeux de certains, sonne le glas des consultations de ville. Cette posture, également évoquée par le réseau mémoire francilien Aloïs, se voit pourtant opposer de solides arguments.

Généralisation de l'ambulatoire : 200 M€ d'économies

"Les parcours de diagnostic en ambulatoire représentent une économie potentielle maximale de l'ordre de 200 millions d'euros si tous les nouveaux patients en 2020 sont diagnostiqués en ambulatoire."
En proie, comme nombre d'autres, à une réduction de ses subventions, l'association Aloïs s'est fendue d'une étude médico-économique afin de comparer les coûts du parcours diagnostic de la maladie d'Alzheimer en ambulatoire et à l'hôpital (1). Publiée dans le dernier numéro 2014 de la revue Neurologie libérale, celle-ci dresse un constat sans appel : "Le diagnostic en ambulatoire coûte moins cher" de quelque 850 euros (€) en moyenne par patient. Particulièrement à la peine dans la prise en charge des cas les plus avancés, le secteur hospitalier souffre notamment de son forfait hôpital de jour, évalué à 1 300 €. Un passage "quasi systématique" pour la réalisation d'examens complémentaires, examens moins souvent requis dans le parcours de ville.



Extrapolant ces résultats au nombre de malades d'Alzheimer estimés pour 2020 - soit 229 000 nouveaux malades - les auteurs renchérissent : "La généralisation du diagnostic en ambulatoire [...] génèrerait des gains de l'ordre de 200 millions d'euros (M€)." Ces gains concerneraient pour 135 M€ les ARS et la Sécurité sociale et pour 70 M€ les mutuelles, assurances et complémentaires santé. Concédant néanmoins que le tout ambulatoire n'est pas à souhaiter, l'étude statue sur la nécessité d'orienter uniquement les troubles légers vers les dispositifs de ville, pour une économie globale annuelle de l'ordre de 42 M€.

Les réseaux de ville identifient des profils au stade moins avancé

À cette opportunité purement économique, ces consultations de ville présentent d'autres atouts que l'étude ne manque pas de souligner. Diagnostic rapide, intervention plus précoce, public plus jeune et moins dépendant... "On s'est aperçu que les patients qui passent par la ville en sont à un stade plus léger de la maladie", note Séverine Denolle, directrice administrative du réseau mémoire Aloïs. Un avantage considérable tant pour la prévention que pour la recherche puisque, rappelle cette dernière, "nous pouvons adresser aux CH des profils qui correspondent parfaitement aux critères d'inclusion des protocoles".

Au regard des bénéfices présentés, l'étude, dans sa conclusion, renvoie donc directement aux problématiques dénoncées avec vigueur par Rémy Fromentin et l'affirme : "Il est temps de remettre en cause un système traditionnel exclusivement organisé autour de l'hôpital et de reconnaître officiellement la notion de consultation mémoire ambulatoire... avec lignes de financements correspondantes."

Quelles raisons au démantèlement ?

Comment comprendre, dans ce contexte, le démantèlement déploré par certains alors que tout, dans les chiffres, confirme de l'intérêt de conserver de tels dispositifs ? La réponse est à chercher du côté des fondements même des réseaux mémoire. Séverine Denolle le rappelle sans détour, leur réseau a été constitué sur une base expérimentale. "Cela fait dix ans que nous existons, et cinq ans ans que nous avons basculé sur le budget expérimentation en soins de ville de l'ARS Île-de-France." Une justification corroborée par l'agence, qui complète : "Une expérimentation est par définition de courte durée."



Bien décidée à ne pas se laisser enterrer malgré une coupe drastique dans son enveloppe (350 000 € pour 2014, moitié moins qu'en 2012 et 2013) en prévision d'un arrêt définitif, l'association a donc lancé une campagne de communication avec un but bien précis : "convaincre les décideurs que notre modèle est duplicable et a sa place en complément de l'existant". Un dernier argument qui ne convainc pas vraiment l'ARS. En effet, pour la tutelle, le maintien de l'activité de l'association "favoriserait l'existence d'un double circuit d'adressage des patients".

"Les réseaux ont vocation à s'éclipser"

Elle aussi confrontée aux difficultés financières qui incombent aux réseaux mémoire (2), le Dr Florence Pasquier, présidente du réseau mémoire du Nord-Pas-de-Calais Méotis, rebondit sur ce constat en invoquant la définition même d'un dispositif comme le sien. "Les réseaux, précise-t-elle,sont un moyen de compenser ce qui n'est pas encore du droit commun. Ils ont vocation à s'éclipser au fur et à mesure que les politiques de santé s'organisent sur le terrain. C'est ce qui s'est passé avec le plan Alzheimer". Maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer (Maia), centres locaux d'information et de coordination (Clic), plateformes de répit... ces dispositifs désormais implantés, Méotis se prépare à tirer sa révérence. "On s'en félicite, c'était attendu et prévu, assure sa présidente qui complète, le tout est d'organiser notre reconversion au sein même du système proposé."

Après avoir négocié avec l'ARS des financements pour une année complémentaire afin d'assurer la transition avec les Maia installées "mais pas encore toutes opérationnelles", le réseau va se tourner vers ses autres champs d'action, et ainsi éviter "les situations dramatiques que d'autres connaissent". L'accent sera tout particulièrement porté sur la recherche clinique, précise Florence Pasquier, sous la casquette de responsable du centre mémoire de ressources et de recherche (CM2R) du CHRU de Lille. Avec une condition "que les infirmières du réseau se fassent relais du CM2R pour que l'accès à l'innovation ne reste pas confiné au CHRU mais bénéficie à tous, et à tous les hôpitaux".
Agathe Moret 
(1) Étude réalisée par le cabinet de conseil en stratégie et management Kea & Partners à la demande d'Aloïs, en mécénat de compétences
(2) De 184 000 € à ses débuts, pour le financement de deux neuropsychologues et une coordinatrice, le réseau Méotis a, dans ses années de montée en charge, bénéficié de subventions allant jusqu'à 550 000 € pour 10,5 équivalents temps plein (ETP). Une enveloppe qui a diminué à partir de 2012 pour atteindre 315 000 € en 2014. Pour 2015, 278 000 € devraient permettre le financement de 3 ETP neuropsychologues, 0,5 ETP administratif et 2 ETP d'infirmière diplômée d'État (IDE) "pour assurer la transition".



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