jeudi 5 mars 2015

Le plan anti-pauvreté de Manuel Valls ne traite pas le mal à sa racine

Le Monde.fr | 

Manuel Valls.

La création d’une prime d’activité pour se substituer au revenu de solidarité active (RSA) et à la prime pour l’emploi (PPE), présentée par le premier ministre le 3 mars, vient symboliquement marquer la fin d’une période ouverte par la réforme du revenu minimum d’insertion (RMI) voulue par Martin Hirsch et adoptée en 2008, au début de l’ère Sarkozy.

Sous cette rupture avec un dispositif qui devait incarner le « travailler plus pour gagner plus » dans les politiques sociales, il existe une forte continuité dans la gestion de la pauvreté. Cette continuité ignore ou dissimule plusieurs dimensions qui font de cette réalité dramatique une question fondamentalement politique.


Trois points peuvent être soulignés.

Le premier est la continuité dans une approche qui fait de l’accès au marché du travail l’alpha et l’omega de la lutte contre la pauvreté. La chanson des « Enfoirés » pour l’année 2015 a fait polémique, notamment parce que les aînés y disent à leurs cadets qu’il leur faudrait « se bouger ». 

En réalité, depuis une quinzaine d’années, les principes du retour au travail comme solution à la pauvreté se sont imposés, au détriment de tout débat de fond sur les causes de la fragilisation des salariés les plus modestes.

Deux tendances convergentes sont à l’œuvre.
Il y a, d’une part, l’autonomisation des débats techniques relatifs aux moyens – les politiques publiques – par rapport au débat politique d’ensemble et, d’autre part, l’avènement d’un nouveau consensus sur les fins.


Dépolitisation du traitement de la pauvreté


La seule nuance entre la gauche et la droite porte ici sur l’attention portée à l’hyperprécarité : la gauche souhaitant éviter d’encourager de manière indirecte les emplois à temps très partiel en accordant des aides à ceux qui les occupent  ; la droite valorisant l’accès, au premier euro gagné, de tous aux dispositifs de soutien.

De ce point de vue, la création de la prime d’activité incarne un parfait consensus entre ces deux options : soutien au premier euro gagné d’un côté mais limitation du soutien aux travailleurs très modestes de l’autre.

Cette dépolitisation du traitement de la pauvreté nie la relation profonde qui existe entre l’état du marché du travail, les transferts sociaux et la régulation de la pauvreté, réduite à être l’appendice d’un ensemble de débats qui n’y sont que pas ou peu reliés.

Ni le dialogue social qui a pourtant débouché sur des évolutions sensibles depuis le début du quinquennat – avec l’accord national interprofessionnel (ANI) par exemple –, ni les réformes des retraites ou du système de santé, ni même l’adoption de la loi Macron ne sont mis en relation avec la pauvreté et son augmentation continue dans la société française depuis une dizaine d’années. Or, toutes ces réformes et tous ces débats peuvent et doivent être mis en lien avec la situation des plus défavorisés.

Tout se passe comme si le lien entre le centre et la périphérie de la société avait été perdu, comme si les maigres gains financiers que pouvaient escompter les travailleurs pauvres dans les dispositifs qui leur sont dévolus suffisaient à résoudre la question. On mesure là la profondeur du fossé qui sépare la manière dont la pauvreté est appréhendée par les politiques publiques et les rapports sociaux qui la produisent.


La vulnérabilité sociale


Avec près de quinze pour cent de pauvres, un dixième des salariés qui vivent dans un état d’insécurité structurelle, un taux de chômage de longue durée en constante augmentation, une exclusion des jeunes des quartiers populaires, la vulnérabilité sociale a pris racine et structure des conflits larvés. Les jeunes y sont désavantagés par rapport aux aînés, qui pourtant voient leur situation se dégrader à mesure que les cohortes touchées par la précarité sortent du marché du travail.

Les grands ensembles se paupérisent en même temps qu’ils s’ethnicisent. En même temps, les « avantages » dont ils bénéficient (par exemple, la politique de la ville) sont contestés. La dépendance des jeunes envers des familles déjà fragilisées n’est pas remise en question. Le sort des familles monoparentales est réglé à coups de majoration des prestations sans que les dimensions familiales de la précarité soient énoncées, sinon combattues par des mesures de soutien aux jeunes parents. A force de négliger la dimension sociale des problèmes de la société française, ceux-ci sont déplacés sur le terrain de la racialisation ou de la morale.

Des solutions fantasmées et inopérantes se substituent ainsi à la mise en relation de la pauvreté avec l’ensemble des problèmes (famille, discrimination ethno-raciale, absence de qualification, institutionnalisation de la précarité) qui la font grossir.

Cet oubli du social dans une société fracturée n’aide pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, à entrevoir les voies et moyens d’une gestion productive des antagonismes qui traversent la France. Exprimer, sans excès ni caricature, le lien entre la pauvreté et de nombreux autres débats permettrait d’intégrer un critère de justice sociale dans leur gestion.

Cela contribuerait, en outre, à sortir de la crise de l’avenir qui traverse la société française. Nul ne doute que derrière les chiffres, la pauvreté de masse est une plaie qui taraude les personnes concernées et la société. Elle est d’autant plus menaçante qu’elle n’est ni mise en mots ni réellement combattue.

Nicolas Duvoux (Sociologue et maître de conférences à l’université Paris-Descartes, chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po).


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