dimanche 15 mars 2015

Le coût de la fragilité impose de réorganiser la pratique médicale et le système de santé



Bien décidés à rappeler les enjeux socio-économiques qu'implique la notion de fragilité, les gériatres français ont associé l'étendue de leurs connaissances dans un livre blanc. Publié à l'occasion du 3e congrès de la SFGG sur la fragilité du sujet âgé, l'ouvrage examine les réponses innovantes à même de fonder une nouvelle approche de santé publique.

Évoquée par les gériatres depuis plus de dix ans, la notion de fragilité connaît, depuis 2012, un retentissement plus marqué. De son intégration dans le partenariat européen d'innovation au prototypage d'un parcours de santé pour les personnes âgées en risque de perte d'autonomie (Paerpa), en passant par la loi d'adaptation de la société au vieillissement, le concept s'est petit à petit installé dans les esprits et logé dans les projets politiques. Or, et les professionnels le déplorent, celui-ci n'a pas su passer l'étape cruciale à son déploiement. Celle-ci est résumée par la Commission européenne en une phrase : "transformer les idées en résultats tangibles". En amont du troisième congrès francophone "Fragilité du sujet âgé", organisé les 12 et 13 mars prochains, les experts ont donc élaboré leur livre blanc. Autour de cinq chapitres, l'ouvrage condense l'ensemble des connaissances actuelles sur le sujet. Et rappelle toute la nécessité du repérage de la fragilité, que ce soit en termes de santé publique ou, de manière plus pragmatique, concernant l'avenir de notre système de santé.

La France en situation "préoccupante"

"Les conséquences cliniques liées à l'âge, en particulier la dépendance, sont une catastrophe sanitaire pour les personnes bien sûr mais également pour le système de santé."

Si la France n'est pas restée inactive et s'est attachée à expérimenter, à Nice, Paris, Marseille et ailleurs, des dispositifs innovants en matière de repérage et de prise en charge précoce de la fragilité, la réalité est encore loin des ambitions affichées. D'après les données européennes reprises dans le livre blanc, la situation de la France serait même "préoccupante". Allemagne, Italie, Suisse, Autriche, Belgique, Pays-Bas ou encore Suède... notre pays se situe bien au-dessus de ses voisins européens en termes de proportion de personnes fragiles. Or, et les économistes Thomas Rapp et Nicolas Sirven le rappellent, le coût de cette fragilité interroge directement la pérennité de notre système de protection sociale.


Ainsi, les personnes âgées dites fragiles (13,3% des plus de 65 ans*) dépensent chaque année près du double du budget de santé des personnes âgées "robustes", les personnes pré-fragiles plus d'un tiers. De 2 600 euros (€) pour les âgés "robustes", la part passe respectivement à 3 500 et 4 600 € pour les personnes en situation de pré-fragilité et de fragilité.

Réaffirmer la place du médecin généraliste

"Le développement récent des travaux de recherche sur la fragilité ne s'est pas traduit en pratique clinique comme il le faudrait."

Soulignant au passage tout l'intérêt médico-économique pour la Sécurité sociale de financer des interventions efficientes de détection des risques de fragilité au sein de la population, les auteurs en profitent par ailleurs pour rappeler la nécessité de faire évoluer la pratique clinique. Évoquant les "limites dues à la difficulté de changer les habitudes en médecine", ces derniers plaident pour que soit installée une approche multidimensionnelle et multidisciplinaire - "en premier lieu avec la médecine générale", dont le rôle s'avère "déterminant dans la détection de la fragilité et la gestion des cas". Le développement des structures ambulatoires gérontologiques, organisées sous formes d'hôpitaux de jour en soutien du médecin de famille, doit à ce dessein être envisagé. Une première étape incontournable qui devra précéder aux études d'impacts, nécessaires à l'élaboration de pratiques adaptées.

Livre blanc, que retenir ?

Ouvrage "nécessaire" à la diffusion plus large des fondements du concept de la fragilité et des modalités de son repérage et de sa prise en charge, le livre blanc se veut plaidoyer. Pour Claude Jeandel et Olivier Hanon, respectivement présidents du Conseil national professionnel de gériatrie (CNP de gériatrie) et de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG), cette notion doit être appréhendée "comme un levier à la prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées".

Assorti d'une cartographie des structures actuellement opérationnelles, le document présente les nombreuses actions de repérage et d'évaluation testées sur le territoire. La réflexion porte notamment sur l'importance de l'activité physique, la nutrition et les nouvelles aides techniques existantes. Et s'articule autour de cinq chapitres : fragilité de la personne âgée ; interventions de prévention de la dépendance chez la personne fragile ; structures de repérage, d'évaluation et de prise en charge de la fragilité ; fragilité des grandes pathologies du sujet âgé ; développement national du repérage et de la prise en charge de la fragilité de la personne âgée.
Agathe Moret 
* Données issues de l'Enquête sur la santé et protection sociale de l'Institut de recherches et de documentation de l'économie de la santé (Irdes).


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