vendredi 6 mars 2015

Ibsen sur le divan



Très rarement mise en scène en France, Petit Eyolf est une des pièces les plus cruelles d’Ibsen (1828-1906). Son personnage éponyme un enfant d’une dizaine d’années, a perdu l’usage de ses jambes après être tombé du haut d’une table quand il était bébé. Il passe sa vie dans une chambre remplie de cadeaux et rêve d’apprendre à nager mais n’ose pas sortir dehors. Jusqu’au jour où il se décide à aller jouer sur la plage, et se noie. Juste avant d’apprendre le drame, la mère reprochait au père de se laisser « accaparer » par cet enfant dont elle avouait presque regretter l’existence…

Cette histoire pourrait ressembler à une parabole religieuse prônant en creux l’amour filial et dénonçant l’égoïsme humain. Mais sous la plume d’Ibsen, et dans l'intelligente mise en scène de Julie Berès (au théâtre des Abbesses jusqu’au 15 février), elle prend plutôt la dimension vertigineuse d’un « super cas » freudien.  Ecrite en 1894, la pièce précède l’invention du mot psychanalyse (1896) et les premières publications importantes de Freud. Pourtant elle décrit à merveille la famille dans tous ses noeuds pathologiques : ambivalence, infantilisme des adultes, pulsion de mort, culpabilité. De façon un peu démonstrative, la metteur en scène va jusqu’à faire de la chambre du fils la matrice de tout l’inconscient familial : dans son spectacle, cette pièce est un cube transparent sur les murs duquel s’écrivent (à l’encre rouge) les mots-clés du drame, et où s’expriment certains fantasmes inavouables. Ainsi, un des moments les plus forts de la mise en scène ressemble à une image de l’esprit devenue réalité : quand l’enfant (Valentine Alaqui) prend ses béquilles pour taper comme une brute le mur de verre qui le sépare du monde extérieur, à commencer par les « autres » enfants avec qui il n’ose aller jouer et qu’il fait semblant de combattre à mort (pour cette guerre rêvée, il dispose aussi d’un fusil qui crache une peinture rouge sanglante à  souhait).

PETIT EYOLF
Gérard Watkins dans Petit Eyolf mise en scène Julie Berès / Crédit photo : Tristan Jeanne-Valès
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