dimanche 22 mars 2015

Halte au droit du travail « bashing » !

Le Monde.fr 


Palais du Sénat. Audition d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, par la Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques dites "loi Macron".  Son projet de loi prévoit la mise en place d’un référentiel d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ; même si le référentiel n’est qu’indicatif, la logique est bien là, éminemment discutable : l’entreprise doit pouvoir calculer à l’avance combien va lui coûter la violation du code du travail.


Repoussoir pour les investisseurs étrangers, le code du travail serait un handicap pour notre économie et favoriserait le chômage… Il faut « entièrement le réécrire », clame Nathalie Kosciusko-Morizet qui, lors de sa campagne pour la mairie de Paris, avait déjà prôné des zones franches du droit du travail.

De plus en plus systématiques, ces accusations relèvent davantage du dogme que de vérités intangibles. La thèse selon laquelle les seuils sociaux créeraient du chômage a été démentie par l’Insee. L’impact du travail dominical sur l’emploi n’est pas avéré, le pouvoir d’achat des ménages n’étant pas extensible. Quant aux 35 heures, accusées de tous les maux depuis près de vingt ans, on oublie qu’elles ont été réalisées en contrepartie d’une flexibilité accrue du temps de travail.
Dernier exemple en date, ce boulanger qui fustige l’arrêté qui l’oblige à fermer un jour par semaine. C’est encore la faute du code du travail, à ceci près que les soutiens du boulanger landais omettent de préciser que la fermeture, qui s’impose peu importe que l’entreprise emploie ou non du personnel, a pour objectif de protéger les PME, non les salariés ; la fermeture hebdomadaire égalise les conditions de la concurrence entre les petites boulangeries et celles qui ont suffisamment de personnel (celle de M. Cazenave compte 22 salariés) pour tourner 7 jours sur 7.

Le débat, nécessaire, sur la complexité du droit du travail, charrie, lui aussi, trop d’excès. Même si des mesures de simplification paraissent nécessaires ici et là, il ne faut pas rêver d’un code réduit à une centaine d’articles, l’essentiel étant renvoyé à la négociation collective, comme le proposent certains ténors de l’UMP ou le Medef.

Un seul et unique critère de jugement


D’une part, le compromis inhérent à tout accord collectif n’est pas un gage de simplicité ; d’autre part, renvoyer à la négociation collective signifie un droit différent d’une branche à l’autre, d’un territoire à l’autre, d’une entreprise à l’autre. Avec le risque de favoriser la concurrence par les règles sociales, autrement dit le dumping social.

Est-il satisfaisant de voir le smic varier d’un secteur d’activité à l’autre, comme l’a proposé Hervé Mariton ou, à suivre le projet de loi Macron, de voir les contreparties financières au travail dominical varier au gré du rapport de force entre syndicats et patrons ? Le problème fondamental est qu’il n’existe plus qu’un seul et unique critère de jugement dans nos sociétés modernes : l’efficacité économique. Il importe d’admettre que certaines règles sont nécessaires, indépendamment de leurs effets, parce qu’elles répondent à des valeurs essentielles dans un Etat de droit.
Premier exemple, le projet de loi Macron prévoit la mise en place d’un référentiel d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ; même si le référentiel n’est qu’indicatif, la logique est bien là, éminemment discutable : l’entreprise doit pouvoir calculer à l’avance combien va lui coûter la violation du code du travail. Plus préoccupant encore, on s’attaque au CHSCT qui est devenu au fil des années un acteur phare de la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Dans le cadre de la modernisation du dialogue social, le Medef voulait en faire une commission du conseil d’entreprise. Suite à l’échec des négociations, le gouvernement envisage d’intégrer ses attributions dans la délégation unique du personnel, pour les entreprises se situant entre 50 et 300 salariés et, pour les plus grandes, de le fondre dans une instance unique de représentation du personnel si un accord collectif le prévoit.


Parmi les plus productifs au monde


A supposer même que les règles sociales soient jugées sur leur efficacité économique, on n’a rien à gagner à remettre en cause les protections garanties par le droit du travail. Si l’on considère que c’est sur la qualité du travail, non sur son coût, que la France dispose d’un avantage compétitif, brader le droit du travail ne peut être une stratégie gagnante !

On pourra toujours agiter le risque, purement théorique, pour le chef d’entreprise étranger de se retrouver en prison en cas d’omission de consulter le comité d’entreprise, ou focaliser sur les propos du remuant PDG de Titan qui feint de ne pas savoir que la règle qui oblige à maintenir les contrats de travail en cas de reprise d’un site, est de source européenne !
Les salariés français ne seraient pas parmi les plus productifs au monde sans le modèle social qui les protège. Que l’on ne nous dise pas que les exemples étrangers invitent à le remettre en cause !

Le modèle danois, où le dialogue social fonctionne bien et le taux de chômage est à 6 %, ne permet pas une comparaison utile. Sans compter que la charge fiscale y est la plus élevée en Europe, on ne compare pas un pays de cinq millions d’habitants et un pays qui en compte soixante millions. Le modèle allemand s’accompagne d’une précarité galopante et est construit sur une logique que ni le patronat ni la plupart des syndicats français ne veulent adouber : la cogestion. Quant au droit américain, il permet de licencier du jour au lendemain, sans motif. Est-ce ce que l’on souhaite pour les générations futures ?

A force d’incriminer le droit du travail, on en oublie que l’entreprise n’est rien sans ses salariés.

Pascal Lokiec (Professeur à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense)

Pascal Lokiec est l’auteur de Il Faut sauver le droit du travail (Odile Jacob, 176 pages).

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