lundi 23 mars 2015

Claire Compagnon : un combat pour les patients

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Par 


Claire Compagnon, en mars 2015.


Claire Compagnon, qui prendra ses fonctions le 30 mars, est au cœur de la lutte pour faire avancer le droit des malades en France. Ce n’est pas un hasard si la ministre de la santé, Marisol Touraine, lui avait demandé un rapport, qu’elle a rendu début 2014, intitulé « Pour l’an II de la démocratie sanitaire ».L’an I étant pour elle la loi du 4 mars 2002, qui a permis de reconnaître des droits aux malades. Dans cet opus de 250 pages, Claire Compagnon a livré une série de recommandations pour faire avancer le statut des patients, afin, notamment, qu’ils soient davantage représentés dans les instances de décision. La future loi de santé, actuellement discutée au Parlement, reprend quelques-unes de ses recommandations, mais la nouvelle inspectrice regrette que la question sur le statut des usagers ne figure pas dans le projet de loi.

Depuis des années, cette femme dynamique se bat pour que les usagers jouent un rôle dans le système de santé. Juriste de formation, elle s’est rapidement spécialisée dans les questions sanitaires. Son histoire familiale est marquée par une mère malade, alors qu’elle n’était qu’une enfant, et par le secret ayant entouré cette maladie. « Cela a sûrement conditionné mon obsession de remettre de la parole alors que j’en ai beaucoup manqué », confie-t-elle.

« Aides, c’était un vrai lieu de pensée, un endroit où on réfléchissait collectivement »



A la fin de ses études de droit, on lui propose de s’occuper de la protection de l’enfance dans les Yvelines, dans le secteur de Trappes. « J’ai commencé à traiter du rapport des usagers avec l’administration et les professions médico-sociales, finalement tout ce qui allait jalonner ma carrière », relate Claire Compagnon. Mais elle s’ennuie vite, et c’est le grand tournant : elle rejoint l’association Aides au début des années 1990. L’épidémie de sida était alors extrêmement violente.


Malgré la mort, la douleur, ces années restent pour elle « une expérience inoubliable, un engagement profond », car « c’était un vrai lieu de pensée, un endroit où on réfléchissait collectivement ».

Elle rejoint ensuite la Ligue contre le cancer en tant que directrice du développement. Choquée de n’entendre parler que des cancérologues, des médecins, elle veut donner la parole aux malades, et organise en 1998 les premiers « états généraux des malades du cancer ». Des patients, des proches, y racontent le séisme de l’annonce, la vie avec la maladie, la relation aux soignants, le manque d’information, d’accompagnement. « Il y avait un sentiment d’exaltation, celui de faire émerger quelque chose qui n’existait pas, explique Véronique Fournier, qui a fait équipe avec Claire Compagnon lors des états généraux de la santé en 2002. Claire a été le témoin, l’instigatrice et l’actrice majeure pour cristalliser ce mouvement. »

Cet événement fera date. Suivront les états généraux de la santé qui aboutiront à la loi de 2002 sur les droits des malades, dite loi Kouch­ner. Puis d’autres états généraux et des plans cancer successifs. Dans le même temps, le mouvement associatif de patients se construit. Le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) avait été créé en 1996. « Ces mouvements permettent de faire émerger des dimensions autres que la maladie et son traitement, autour de la douleur, de la nutrition, des relations avec les proches, de l’environnement économique », assure Claire Compagnon.

Petit à petit, ne lâchant rien, elle fait bouger les lignes. D’une belle voix douce mais ferme et juste, « elle ne s’en laisse pas compter », dit le docteur Fournier. « C’est une militante, engagée dans la défense du droit des patients, avec passion, compétence et intransigeance », estime Thomas Sannié, président de l’Association française des hémophiles. « Lorsque je présidais le comité consultatif médical de l’HEGP, elle m’a appris beaucoup de choses sur une vision moderne du droit des usagers. Pas seulement comme protecteurs du droit mais aussi pour améliorer le fonctionnement de l’hôpital », explique Jean-Yves Fagon, qui exerce toujours dans cet établissement.

Les droits des patients se sont améliorés, mais l’hôpital peut à certains moments être un lieu maltraitant

Certes, les droits des patients se sont améliorés, mais l’hôpital peut à certains moments être un lieu maltraitant. Claire Compagnon connaît ce sujet. Elle a réalisé en 2009 une étude pour la Haute Autorité de santé sur « la maltraitance ordinaire dans les établissements de santé »,où le pire côtoie parfois le meilleur. Elle a aussi publié avec Thomas ­Sannié, en 2012, L’Hôpital, un monde sans pitié (éd. L’Editeur), qui rapporte des témoignages effroyables, comme ceux de ces patients sommés de « faire dans leur couche ».

Elle relate aussi des appels de patients depuis les urgences du HEGP, où elle représente les usagers depuis 1996. Ne sachant plus à qui s’adresser, ils ont vu sur un mur son numéro de portable. « Ils sont là depuis plusieurs heures, ont l’impression que rien n’avance, qu’on ne leur dit rien, sont totalement réifiés, ils ne comprennent pas pourquoi on les traite si mal. » Certes, « cela n’arrive pas souvent, commente-t-elle, mais à certains moments, on se demande comment l’hôpital peut être aussi peu attentif à ses usagers.  Quand vous êtes à l’hôpital, vous êtes parfois devant des portes fermées ».

Elle a elle-même beaucoup côtoyé les hôpitaux aux côtés de sa fille, qui a 19 ans aujourd’hui. « J’ai vu ma fille malade, j’avais toutes les clés, mais même quand on est bien informé, on se sent dans ces moments-là totalement isolé, perdu. » Cette mère de deux enfants n’en dira pas plus sur cette épreuve, menée de front avec sa vie professionnelle intense.

La parole, donnée ou retenue, encore et toujours, elle y est très attentive, très respectueuse de ses interlocuteurs, dit Thomas ­Sannié. « C’est ma façon d’avoir été résiliente », dit-elle. Car la parole peut aussi être dévastatrice. Elle cite Camus, sans aucune prétention : « Mal nommer les choses aggrave les malheurs du monde. »

« Son combat n’a pas toujours été facile, car le pouvoir n’est pas de notre côté, constate le docteur Fournier. Parce qu’on est des femmes. Et parce qu’on parle des patients. »

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