CRITIQUE
L’anxiété comme ressort comique, un récit d’Andrea Canobbio
Andrea Canobbio, écrivain, éditeur, né à Turin en 1962, est un habitué des crises de panique. Débarquent la tachycardie, «un sentiment de culpabilité virtuelle, une crainte générale de tuer et de mourir», le grand classique.
A l’approche de la quarantaine, entre mars et septembre 2001, il en collectionne les assauts. Ce sont les voyages en train ou en avion qui mettent le feu aux poudres. Or, responsable des romans étrangers pour Einaudi, Canobbio se déplace souvent. La crise qui clôt ce bref récit autobiographique, écrit en 2007, est contemporaine de la chute des Twin Towers de New York. Canobbio séjourne dans la ville à ce moment-là. Que les choses soient claires, il n’y a aucun lien de cause à effet : «J’ai fait croire que le sentiment d’angoisse si intime que j’éprouvais faisait partie de l’angoisse collective ressentie par tous, un sentiment que je n’étais par ailleurs guère disposé à percevoir, concentré sur moi-même comme je l’étais.»
Amulette. Pressentiment, grâce à sa drôlerie, envoie promener le narcissisme inhérent à une poussée d’angoisse. Par contre, le ridicule, les superstitions, le comique de situation produit par l’anxiété, sont au menu de cette anatomie du mal. Pas de jérémiades chez Canobbio, mais de longues minutes passées dans les toilettes d’un ferry en hurlant qu’on le délivre alors que la porte est ouverte, et un attachement fort à son tranquillisant : «une amulette qui fonctionnait par contact, par contagion». Canobbio l’adore, mais ne l’avale pas à la légère : «Prendre un médicament est comme de coucher avec une femme : c’est excitant, inquiétant et lourd de conséquences.» Il y a bien la valériane, moins engageante, mais Canobbio y renonce :«Quand je repense aujourd’hui à ma réticence à avaler cette inutile valériane, me vient à l’esprit un personnage de Pastorale américaine, une camarade de classe de Zuckerman qui regrette de ne pas lui avoir permis de lui toucher les nichons quand ils avaient quatorze ans et qui lui propose de le faire, à l’occasion de la quarante-cinquième réunion des anciens élèves de l’école.» L’esprit d’escalier est le complément d’objet direct de la crise de panique.
Elle est aussi un carburant de la dramatisation. En ceci, elle alimente le talent de l’écrivain qu’est Canobbio. Pressentiment fabrique des microromans et d’excellents personnages, qui entrent dans le scénario catastrophe de l’auteur au sommet de sa crise. Il imagine ainsi que deux Anglais, avec lesquels il prend l’avion, seront coupables de la propagation de la fièvre bovine en Italie.
Canobbio estime que le recours au «démon de l’analogie» est «le pain quotidien des écrivains, des névrosés et des psychanalystes». Autant dire que ce démon concerne tout le monde, mais nous n’en faisons pas tous si bon usage. Jonathan Franzen, dont Canobbio édite en 2001 les Corrections, apparaît trois fois, porteur d’une éclaircie. Il est serein, vêtu d’un rien dans les rues glacées de New York en février, auteur à 40 ans d’un chef-d’œuvre. C’est une aberration pour un Canobbio à deux doigts de la dépression. Son père en souffrait déjà.
Timidité.Pressentiment, autoportrait d’un intellectuel italien marié, père de deux enfants, esquisse l’histoire d’une famille et d’un père «lassé de vivre» pendant trente ans. «Je ne veux pas raconter l’histoire de mon père, je n’ai fait que ça depuis que j’ai commencé à écrire» :Trois années-lumière, le roman que Gallimard publie en même temps que le récit, a pour héros un père timide et un peu triste, Claudio. Sa vie sentimentale est racontée par son fils. Avec une telle structure narrative, le fils ne fait qu’un avec le père. On retrouve dans ce texte la douceur de l’écrivain, un goût pour les êtres incertains et un hommage discret au Xanax.
Andrea CanobbioPressentiment Traduit de l’italien par Vincent Raynaud. Gallimard, 88 pp., 11 €. Trois années-lumière Même traducteur, même éditeur, 432 pp.
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