vendredi 16 janvier 2015

40 ans de loi Veil Les nouveaux acteurs de l’IVG en ville

16.01.2015

À la veille de la date anniversaire de la promulgation de la loi autorisant l’IVG, les célébrations se multiplient, alors que depuis plusieurs années déjà certains dans le monde de la santé tirent la sonnette d’alarme : l’accès à l’IVG serait en danger. Au travers de portraits de généralistes qui pratiquent l’IVG médicamenteuse, retour sur un exercice atypique qui tend à prendre de plus en plus le relais des services d’orthogénie à l’hôpital. Mais les effectifs ne suivent pas vraiment.

Qu’ils soient militants de la première heure ou généralistes pratiquant l’IVG médicamenteuse sans convictions politiques particulières, ces hommes et ces femmes avancent tous une motivation commune : le bien-être de leurs patientes. « C’est vrai que le profil « type » du médecin un peu soixante-huitard qui milite pour l’IVG a un peu changé », explique tout en esquissant un sourire le Dr Danièle Gaudry, gynécologue à Saint-Maur et co-responsable du Planning familial. « Je suis entourée de spécialistes ou de généralistes qui ne brandissent pas tous la bannière « Droit des femmes ». Pour celle qui est « de la vieille génération », pratiquer l’IVG médicamenteuse est tout naturellement « un service » qu’elle rend à sa patientèle.

En 2012, 49% des IVG à l’hôpital étaient médicamenteuses

Alors que l’on fête cette année les 40 ans de loi Veil, les Françaises semblent de plus en plus se saisir de l’IVG médicamenteuse dont la pratique a d’abord été autorisée à l’hôpital en 1989. En 2012, 49 % des IVG réalisées en établissements hospitaliers étaient médicamenteuses, contre 10 % en 1992, selon les chiffres de la Drees. Cette étude montrait également que les IVG médicamenteuses pratiquées en ville, encadrées par les décrets de 2004, représentent en 2014, 15 % des IVG en Métropole : 14% des IVG (22 % dans les DOM) ont été réalisées en cabinets (y compris celles remboursées par la MSA et le RSI) et 1 % en centres de santé ou en centres de planification ou d’éducation familiale (CPEF), soit 30 172 IVG médicamenteuses en Métropole et 2 645 dans les départements d’outre-mer. Cette étude décrivait aussi une situation très hétérogène sur le territoire national, la prise en charge des IVG hors établissements de santé demeurant concentrée dans certaines régions: 60% des forfaits médicaments de ville sont remboursés en Ile-de-France et en PACA, 72 % des IVG réalisées en centres de santé ou en CPEF sont concentrées en Ile-de-France, en PACA et en Aquitaine. La pratique des IVG en centres de santé ou en CPEF ne s’est pas encore répandue dans les DOM.

« C’est un peu par militantisme que je pratique l’IVG médicamenteuse »

Toutefois, si cette pratique tend à se développer, l’étude note que cette hausse progressive du nombre des IVG médicamenteuses en ville ainsi qu’en centres de santé et en CEPF, depuis 2009, s’accompagne, depuis le début des années 2000, d’une baisse du nombre des IVG chirurgicales pratiquées en établissements hospitaliers. Un phénomène que constate également le Dr Gaudry. « C’est vrai que le nombre d’établissements pratiquant l’IVG a diminué car c’est une activité qui n’est pas considérée comme « rentable » par certaines directions d’établissements hospitaliers ». Le Dr Claude Ambroise, généraliste à Maisons-Alfort (Val-de-Marne) depuis 32 ans, est elle aussi une militante indéfectible du droit à l’IVG. Une « bataille » qu’elle engagea alors qu’elle était toute jeune étudiante en médecine et membre de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). « C’est un peu par militantisme que je pratique aujourd’hui l’IVG médicamenteuse, » affirme-t-elle encore aujourd’hui. La généraliste raconte que souvent ce sont les hôpitaux qui « contactent » les médecins pour leur proposer de pratiquer ce type d’IVG. « L’hôpital arrive de moins en moins à tenir les délais », explique-t-elle, « alors les établissements hospitaliers s’adressent à ceux qui font beaucoup de gynécologie ou de pédiatrie ». Le bouche-à-oreille fait le reste. Mais dont quelques uns craignent parfois les effets. Car face à la « saturation » de certains hôpitaux, les généralistes investis ne veulent pas devenir les uniques recours. Le Dr Jeanne-Claire Yrles à Rouen a commencé à « faire de l’IVG médicamenteuse » dès 2005, peu de temps après la parution des décrets. « Après un passage en tant que bénévole dans un planning familial je me suis formée au CHU de Rouen et j’ai très vite commencé. Je me suis sentie prête et motivée. Je trouvais que c’était une avancée pour les patientes ». Rapidement, elle se rend compte de la demande « forte » qui existe dans sa région. Pour chacune de ses patientes, cinq ou six consultations sont pratiquées avant l’IVG. « J’aime prendre mon temps et être dans une relation de confiance », précise la généraliste. Comme elle, ils sont une trentaine de médecins généralistes en Haute-Normandie à « pratiquer ». Selon cette praticienne, un peu plus d’un millier de médecins généralistes seraient recensés comme professionnel de santé pratiquant l’IVG médicamenteuse en France. Un faible nombre compte tenu de la demande d’IVG médicamenteuse qui devrait augmenter davantage. « J’ai l’impression que les services d’IVG se réduisent comme peau de chagrin et je ne veux pas devenir le médecin « IVG » du coin », explique le Dr Yrles.

Former la relève

Car le problème des effectifs insuffisants se pose en ville. À peu près tout le monde en convient. Et se greffe, là aussi, la question de la formation de la relève. Certains s’y attellent. Comme le Dr Alain Spicq, installé à Créteil (Val-de-Marne). Il s’était « promis » en fin de carrière de faire de l’IVG et a intégré le réseau REVHO (Réseau Entre la Ville et l’Hôpital pour l’Orthogénie). Il apparaît ainsi dans la liste des médecins à consulter lors d’une demande d’IVG médicamenteuse. En lien avec l’hôpital - les généralistes sont en effet tenus de signer une convention à l’établissement hospitalier le plus proche de leur cabinet - le Dr Spicq s’est formé il y a cinq ans. Également maître de stage, cette pratique « en plus », il l’enseigne à ces internes qui n’ont jamais entendu parler d’IVG pendant leurs études. La formation des médecins et des étudiants en médecine générale est en effet un point sur lequel les généralistes insistent pour qu’ils deviennent les acteurs de demain. Un avis que partage le Dr Fabien Quedeville installé depuis 2003 à Chilly-Mazarin et qui insiste sur le problème de la formation des généralistes qui pourraient assurer l’information sur la contraception à leurs patientes avant même qu’une situation d’IVG n’arrive.

Ce généraliste de l’Essonne plaide pour une implication croissante des médecins de ville. « Si l’on veut favoriser l’accès à l’IVG, il faut se demander où l’IVG médicamenteuse doit être faite. Et je crois que c’est plus facile dans les cabinets surtout en terme de suivi. Le médecin généraliste est le mieux placé ». Le suivi des patientes qui font une IVG médicamenteuse n’est pas assuré à l’hôpital, selon lui. Pour ce généraliste, l’IVG est une pratique de premier et deuxième recours, « certainement pas du 3ème », avançant notamment l’argument du maillage territorial. « Les médecins généralistes sont plus nombreux et plus faciles d’accès que les hôpitaux. Il est plus difficile d’être proche d’un hôpital que d’un généraliste ». Les cabinets de soins primaires offriraient donc, selon lui un plus pour la prévention, le suivi, le contact avec la patiente et un maillage plus intéressant… Mais le Dr Quedeville insiste sur l’absence de délai en médecine de ville. Le généraliste assure que dans son cabinet il n’y a pas d’attente contrairement à l’hôpital où les délais peuvent parfois être longs et du coup contraindre les patientes à ne plus pratiquer l’IVG médicamenteuse dépassant les sept semaines d’aménorrhées.

Marisol Touraine, qui a promis de présenter un « plan cohérent pour améliorer l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire » mi-janvier, décidera-t-elle de placer le médecin généraliste au cœur de cette réorganisation des soins ? Et quels moyens financiers pourront être donnés pour former les médecins ? « Pas de réforme mais miser sur les généralistes serait une bonne orientation politique ». Tels seraient les vœux du Dr Quedeville pour cette nouvelle année 2015.

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