dimanche 14 décembre 2014

L’école, cet autre désert médical

Le Monde.fr |  | Par 

Raphaëlle Pasquier, au centre médico-scolaire de Louviers, dans l'Eure, le 1er décembre.

« C’est comme chez le médecin, ici », souffle Maxence, bientôt 13 ans, en s’allongeant sur la table d’auscultation du centre médico-scolaire de Louviers (Eure). « Mais tu es chez le médecin », fait remarquer sa mère, un peu gênée. « Chez le médecin scolaire », précise le docteur Raphaëlle Pasquier, qui reçoit le collégien de 5e, ce mardi après-midi de décembre, dans ce qu’elle nomme « son QG ».

Cela fait quatre ans que les parents de Maxence (ils ont préféré conserver l’anonymat), s’accommodent comme ils peuvent du diagnostic de dyslexie posé sur leur fils quand il était en CE2. Quatre ans à l’accompagner de leur mieux, en le faisant suivre « en ville » par une orthophoniste, « à domicile » par un enseignant « de soutien ». Sans jamais passer la porte de cette médecin scolaire dont ils ignoraient tout simplement l’existence, confient-ils.

Cela ne froisse guère Raphaëlle Pasquier, 53 ans, dont vingt sur le terrain à multiplier les déplacements entre les écoles, collèges et lycées de Louviers (18 000 habitants) et des villages environnants.

Cette médecin généraliste de formation, qui a passé sur le tard le concours de l’éducation nationale (« après la naissance de (son) quatrième enfant »), est parfaitement lucide sur les limites de son champ d’action : avec les 8 autres médecins scolaires que compte le département de l’Eure – « moitié moins qu’il y a vingt ans », le docteur Pasquier est censée veiller sur… 12 000 élèves, de la maternelle au lycée.


Un médecin pour 11 000 enfants


« Est-ce qu’un enseignant à qui on donnerait deux classes accepterait sans broncher ? J’en doute… Mais nous, médecins scolaires, nous avons vu nos secteurs d’intervention gonfler, nos missions s’empiler comme un millefeuille, et on ne devrait pas s’en alarmer ? »

Quand elle ôte la blouse du médecin, Raphaëlle Pasquier revêt ses habits de syndicaliste. Son organisation, le SNMSU-UNSA, majoritaire parmi les médecins scolaires, a tiré la sonnette d’alarme en novembre, dénonçant « l’extinction programmée » de la profession.

Si les médecins scolaires étaient, il y a dix ans, près de 2 150 à exercer à plein-temps, ils sont aujourd’hui moitié moins. Avec 1 100 professionnels pour 12 millions d’élèves, l’équation est vite posée : chaque médecin devrait veiller, en moyenne, sur 11 000 enfants et adolescents – plus du double de ce qui est recommandé. Sur la même période explique le SNMSU-UNSA, le poids des missions n’a cessé de s’alourdir, en lien avec la loi sur le handicap (2005) qui a permis d’ouvrir les portes de l’école – en théorie du moins – aux enfants handicapés, mais aussi avec la réforme de la protection de l’enfance (2007), ou encore l’essor des PAI, ces « projets d’accueil individualisé » que connaissent bien les parents d’élèves allergiques ou atteints de maladies chroniques.

Comme d’autres médecins ou infirmiers scolaires, Raphaëlle Pasquier s’est félicitée que la loi de refondation (juillet 2013) inscrive noir sur blanc, parmi les missions de l’école, la promotion de la santé… à condition de s’en donner les moyens. Elle ne cache pas « devoir faire le tri » parmi ses priorités, notamment la visite médicale dite « des 6 ans », en principe obligatoire, mais qu’elle réalise pour 15 à 20 % des enfants seulement. Et privilégier les déplacements dans certains secteurs, certaines écoles, où des familles démunies ne voient pas (ou rarement) de médecin « en libéral », et jamais (ou presque) de spécialiste, ophtalmo, ORL…


A diplôme équivalent, des postes plus attractifs


Pour autant, elle ne s’estime pas « la plus mal lotie ». Elle dispose d’un lieu de consultation avec un bureau « bien à elle », et d’une secrétaire à mi-temps avec qui elle partage la ligne téléphonique, souvent aussi l’ordinateur. En ces temps de crise et de déserts médicaux, elle n’ignore pas que certains départements, comme l’Indre, n’ont plus un seul médecin scolaire. Ou que d’autres ne parviennent pas à les retenir : à la rentrée 2014, 5 des 25 médecins qui s’apprêtaient à être titularisés ont préféré démissionner, selon les chiffres du SNMSU-UNSA.

C’est qu’il n’est pas difficile, à diplôme équivalent, de trouver poste plus attractif, reconnaît Raphaëlle Pasquier, avec des salaires en fin de carrière qui avoisinent, prime comprise, les 3 000 euros nets mensuels. Aux contractuels, nombreux parmi les médecins scolaires, l’éducation nationale propose 20 euros de l’heure. Pas de quoi attirer les vocations : en 2014, un tiers des postes n’ont pas trouvé preneurs, portant à 263 le nombre d’emplois restés vacants.

Pourtant, Raphaëlle Pasquier continue de percevoir et de défendre le « sens de son métier ». A l’issue d’une heure de visite, durant laquelle la médecin a porté autant d’attention à la croissance du garçon qu’à ses bulletins de notes, identifié ses difficultés mais aussi ses progrès, souligné ses points forts – « le sport ! » – comme ses faiblesses – « en français ! » –, elle n’a pas confirmé le diagnostic de dyslexie.

« Il te faut aussi accepter d’avancer avec tes petites difficultés, explique-t-elle à Maxence, tu as du ressort, et tu sais où me trouver si, à l’avenir, tu te sentais dépassé ». L’adolescent en est ressorti un peu plus sûr de lui. Ses parents, avec le regret d’avoir laissé filer le temps avant de la consulter.

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