lundi 8 décembre 2014

Des patients de l’AP-HP racontent leur adolescence

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Par 
Ecrire sur son adolescence lorsque l’on est hospitalisé : c’est ce que l’écrivain et avocat Mathieu Simonet a proposé à 1000 patients des 37 hôpitaux de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), en leur confiant des carnets. Une partie de ces textes va être publiée dans Carnet37, un recueil diffusé gratuitement. L’intégralité des témoignages sera publiée sur le site du projet, de façon anonyme, chaque carnet étant numéroté. Ce projet sera présenté lors d’événements tout au long de la journée du jeudi 11 décembre.

« Cette zone de l’incompréhension »


Pour cet homme de 60 ans, l’un des cinq patients du service de psychiatrie adulte (hôpital de jour) à la Pitié-Salpêtrière qui a accepté d’écrire sur son adolescence, c’est « une façon d’exister ».
 « C’était il y a longtemps, très longtemps, c’était au siècle dernier, dans les années 1960 », ainsi démarre le long récit de cet homme sur le début de sa vie amoureuse. Hamida Bechkour, ergothérapeute dans ce service, a accompagné les patients tout au long de cette aventure pour, dit-elle, « dépasser les réticences, les peurs de se dévoiler, car écrire c’est s’exposer ». Ainsi cette femme d’une cinquantaine d’années a écrit un texte émouvant sur l’adolescence, « plus tout à fait enfant, pas encore tout à fait adulte, une période floue, on ne sait pas exactement quand elle commence, ni quand elle finit. C’est un sentiment de mal être, peut être même un sentiment de non-être ». Une jeune femme de trente ans parle quant à elle de « cette zone de l’incompréhension, zone de transit ».


« Expérience bouleversante »


Cela a été pour Isabelle Lauberthe « une expérience bouleversante ». Terrassée par le locked-in-Syndrom (paralysie totale) il y a six ans, cette femme a pu revivre le temps où elle était valide, « ce qui a fait ressortir toutes mes émotions. Je me rappelle de tout, du bonheur de manger un gâteau au chocolat, d’écouter de la musique, d’aller au cinéma », raconte Isabelle Lauberthe, d’une voix chuchotée.

« Le fait d’entendre lire mes propres récits, mes propres histoires vécues m’a permis de ressentir des impressions que j’ignorais totalement, le fait d’être à la fois auteur, acteur et spectateur procure une sensation mêlée de bonheur, d’émotion et d’envie de partager ». Guy Lebrédonchel, atteint d’une sclérose latérale amytrophique (SLA, ou maladie de Charcot), parle de son expérience. A l’issue d’un atelier dans l’hôpital d’Hendaye, Mathieu Simonet a lu le texte écrit par Guy Lebrédonchel. « Personne n’avait jamais lu mes propres récits à haute voix », dit cet homme, lui-même auteur d’une autobiographie.


« Ne pas oublier ceux qui oublient »


Comme le dit le docteur Amina Lahlou, chef du service de gériatrie en soins longue durée (152 patients) de l’hôpital Charles Foix, cette expérience a consisté à « ne pas oublier ceux qui oublient ». La plupart de ces patients, âgés de 85 ans en moyenne, sont presque tous touchés par des maladies chroniques et la maladie d’Alzheimer. Quatorze patients ont écrit sur leur jeunesse. « Beaucoup sont heureux de laisser une trace », explique le docteur Lahlou. Certains ont vécu la guerre. Certains ont été photographiés par Hervé Baudat, dessinés par le plasticien Konrad. Une cinquantaine de carnets vierges ont aussi été décorés par les patients, puis accrochés à quatre arbres monochromes, dans le cadre de la Nuit Blanche, dans le parc de la hauteur de la Pitié-Salpêtrière. Ces carnets vierges étaient proposés aux visiteurs, invités à écrire sur leur adolescence puis ils recevaient en échange le carnet de l’un des patients de l’AP-HP. Ce sont en tout 100 carnets qui ont été échangés.

Près de 200 carnets ont à ce jour été rendus à Mathieu Simonet, qui poursuit l’expérience. L’idée étant de faire vivre ces carnets, d’en faire une « autobiographie collective ». Ces textes produits ont et seront utilisés lors de rencontres, concerts littéraires dans des hôpitaux, performances, etc. Un film a été réalisé par Christope Béguin sur des patients atteints de drépanocytose (maladie du sang) à l’hôpital européen Georges-Pompidou et des collégiens du Pré-Saint-Gervais, qui devaient écrire un texte en écho à celui qu’ils avaient lu.


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