mardi 11 novembre 2014

L’école, c’est pas sexe

MARIE-JOËLLE GROS

Les parents sont de grands naïfs. Capables de croire que des enseignants vont apprendre à leur enfant à se masturber en salle de classe ou en les traînant dans des expositions déviantes, telle le «zizi sexuel» de Zep à la Cité des sciences à Paris. S’il y a pourtant bien une pratique sexuelle qui ne nécessite pas de démonstration, c’est celle-là.
Tous les parents d’élèves ne sont pas dans une telle méconnaissance des savoir-faire de leurs enfants, ni dans une telle défiance à l’égard de l’école. Mais, manifestement, quelque chose ne tourne pas rond. Des polémiques explosent régulièrement, autour d’ un livre (Tous à poil) ou d’un film d’animation (le Baiser de la lune). En toile de fond, cette crispation : l’école doit se limiter aux savoirs fondamentaux, le reste revient aux familles. Dans cette logique, l’éducation sexuelle passe pour la pire des intrusions. Faut-il craindre un retour à la case départ ? Pour l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, on assiste à «une remise en cause du rôle éducatif et républicain de l’école. Mais il faut voir d’où l’on part». Soit, en matière d’éducation sexuelle, de très loin.
Sida. Avant Mai 1968, il y avait un tabou total. Ensuite, les cours de biologie se sont penchés sur la reproduction, mais on évitait soigneusement de débattre. Vingt ans plus tard, l’épidémie de sida a changé la donne. Mais l’école ne s’autorise à diffuser qu’un seul message : le sexe est dangereux. Son rôle : prévenir, informer, pas plus. Les infirmières scolaires ont la charge des grossesses non désirées : distribution de pilules du lendemain et de préservatifs. Déjà, des parents s’étranglent.
Mal à l’aise pour parler de sexe avec leurs élèves, les enseignants restent souvent en retrait. Des associations sont invitées à dialoguer avec les élèves. Des brochures informatives, comme celles de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), se chargent de fournir des réponses aux questions des ados. «Pourquoi les filles mouillent ?», «Pourquoi les garçons bandent le matin ?», etc.
En 2003, l’école abandonne un carcan de plus. Une circulaire ministérielle invite à parler des «différentes dimensions de la sexualité humaine». En histoire, littérature, philo, éducation civique, arts plastiques, en abordant Michel-Ange, Rimbaud, Wilde, Gide, Colette, il y a matière. A voix basse pourtant, «la lutte contre le sexisme et l’homophobie» en irrite plus d’un, remarque l’historien Claude Lelièvre.
Grand méchant loup. Et en 2010, ça explose : l’enseignement catholique se dote d’un texte à lui. Un «guide» (1) qui recadre l’éducation à la sexualité dans «la vision chrétienne de l’anthropologie». Autrement dit, l’enseignement catholique fait sécession. Problème : les établissements privés sous contrat avec l’Etat (le gros des troupes) sont censés dispenser les mêmes enseignements que le public. Mais le «guide» rétablit la ligne :«La différence sexuelle est structurante.» Y a pparaît noir sur blanc le grand méchant loup, la «gender theory». Son but : «Libérer l’individu de tout cadre normatif donné par la nature, la société, la religion et permettre à chacun de choisir librement son identité, son orientation sexuelle et sa forme de famille.» Le diable ? Pour les cathos, le modèle doit rester hétérosexuel. A partir de ce credo, «tout coagule», raconte Claude Lelièvre. L’obsession hétéro «rencontre le f antasme de la féminisation des garçons». Les ABCD de l’égalité mettent le feu aux poudres. La Manif pour tous s’emballe. Farida Belghoul lance ses «journées du retrait».
Les ABCD sont abandonnés et toute nouvelle expérimentation semble tuée dans l’œuf. La suite ? «Lorsque les lycées sont devenus mixtes, certains ont pronostiqué des bordels clandestins dans les établissements, tempère Claude Lelièvre.L’histoire de l’école se joue sur la durée. Or le mouvement est là, et malgré les soubresauts, l’école avance.»
(1) «L’éducation affective, relationnelle et sexuelle dans les établissements catholiques d’enseignement», avril 2010.

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