mardi 25 novembre 2014

Drame de la fin de vie à Boulogne : « D’abord une responsabilité de l’institution médicale »

Le Monde.fr Propos recueillis par 
Un homme de 84 ans s’est donné la mort, dimanche 23 novembre, à l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) après avoir tué d’une balle de 22 long rifle son épouse, âgée de 82 ans, qui était hospitalisée dans le service de gériatrie pour un cancer avancé. Quinze jours plus tôt, ce couple avait fait une première tentative de suicide conjointe par prise de médicaments, a rapporté l’AP-HP, dans un communiqué. L’époux était sorti quelques jours plus tôt de l’hôpital.
Philippe Bataille, sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de A la vie, à la mort. Euthanasie, le grand malentendu (Autrement, 2012), se dit « perplexe » sur les circonstances de ce drame, révélateur, selon lui, d’un « malaise »dans la société.
Un époux qui tue sa compagne, malade, avant de retourner l’arme contre lui… Ce type de drame est-il fréquent aujourd’hui en France ?
Philippe Bataille : Le phénomène n’est pas catégorisé en tant que tel. On recense environ 10 000 suicides chaque année en France, dont environ un quart est liés à la maladie, à l’âge… Soit environ 2 000 à 3 000 cas. Sur cette population, on constate une hausse de la population des hommes de plus de 75 ans.

Que vous inspire ce drame ?
Je suis évidemment choqué par cette violence inouïe. Il y a une forme de sauvagerie à tirer sur quelqu’un avec un 22 long rifle et ensuite à retourner l’arme contre soi. Mais je suis également perplexe car cela s’est passé dans une chambre d’hôpital, en France, pas au fond des bois. Ce couple avait déjà été hospitalisé quinze jours plus tôt dans le même hôpital après une tentative de suicide à leur domicile. Comment a-t-on géré cette situation de façon clinique ? Quelle a été la prise en charge de ce couple ? C’est dramatique. Pour moi, il y a d’abord une responsabilité de l’institution médicale qui a échoué à identifier et à accompagner des profils.
Selon vous, cette histoire relance-t-elle – une nouvelle fois – le débat sur la fin de vie en France ou sa violence en fait-elle justement un cas singulier ?
C’est d’abord un drame de plus. Je ne sais pas s’il « relance » le débat public sur la fin de vie car sur cette question, en dépit de l’affaire Vincent Lambert, du procès Bonnemaison, des « amants du Lutetia » et de bien d’autres cas moins médiatisés, rien n’a bougé et rien ne va bouger. Les députés Alain Clayes et Jean Leonetti vont bientôt remettre leurs propositions en matière de fin de vie, qui, a priori, ne devraient pas conduire à modifier fondamentalement la loi actuelle.
Pour vous, il y a donc un décalage entre les attentes, les pratiques et ce que le législateur est prêt à faire en matière de fin de vie…

Ce qui s’est passé à l’hôpital de Boulogne-Billancourt doit nous interroger collectivement. Les institutions ne sont pas à la hauteur pour répondre aux angoisses des gens par rapport à la mort, à leur mort, à la mort d’un proche… D’un côté, des sondages font état d’une écrasante majorité de Français favorables à la mise en place d’une aide à mourir, et, de l’autre, il y a un débat bloqué. Pour reprendre le terme de Freud, je pense que cela en rajoute sur le malaise dans la civilisation. Conséquence : les pratiques sont clandestines et fondamentalement inégales, au vu des différences d’accès à un médecin par exemple….

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