jeudi 13 novembre 2014

Des malades mentaux derrière les barreaux

13/11/2014







Dans les années 1840, explique l’éditorialiste de The American Journal of Psychiatry, la militante américaine Dorothea Dix[1] dénonça le « sort inadmissible » réservé aux prisonniers (aux États-Unis) et exhorta notamment les autorités à construire des hôpitaux pour les personnes incarcérées avec des troubles psychiatriques. Une quarantaine d’années plus tard, les États-Unis disposaient de 75 hôpitaux psychiatriques, et on estimait alors que « moins de 1 % » des détenus souffraient d’une maladie mentale. Dans les décennies suivantes, il était « largement admis » que les malades mentaux devaient relever du secteur hospitalier, plutôt que de l’univers carcéral. Mais ensuite, patatras, « tout s’est défait » : en 1955, la psychiatrie publique aux États-Unis pouvait compter environ sur 560 000 lits, et aujourd’hui, près de soixante ans plus tard, ce nombre est tombé à 35 000 (soit seize fois moins), alors que les troubles mentaux n’ont pas diminué dans la même proportion, bien au contraire !

Ce n’est un mystère pour personne de savoir où vont, par défaut, un nombre important de malades mentaux : en prison ! Dans les années 1970, les geôles de l’Oncle Sam hébergeaient « environ 5 % » de malades mentaux parmi leurs « hôtes » mais en 2014, ce pourcentage est passé « à plus de 20 % » du total présumé de près de 360 000 détenus. Au point qu’il existe désormais, estime-t-on, davantage de malades mentaux confinés derrière des barreaux que séjournant dans des structures hospitalières ! Et que des observateurs s’accordent à dire que « les ressources et les politiques » requises pour traiter les malades mentaux en prison sont « virtuellement absentes. »
En somme, déplore l’auteur, nous avons opéré un « renversement total » des politiques promues vers 1840 pour « garantir le traitement humain » des prisonniers ayant des problèmes psychiatriques ! À la généreuse « thérapie morale » du 19ème siècle paraît succéder « le manque immoral de thérapie » au 21ème siècle… Si une démarche logique animait les décideurs, faudrait-il continuer à privilégier les moyens « les plus chers et les moins efficaces » pour répondre aux besoins en psychiatrie (services d’urgence, hospitalisation, et surtout incarcération !) au détriment d’une ambitieuse politique de prévention pouvant assurer une prise en charge avec un meilleur rapport efficacité/coût ? À ce triste constat (concernant également d’autres pays), on peut rajouter que si les malades mentaux ne devraient bien sûr rien avoir à faire en prison, on peut regretter qu’ils contribuent aussi à alimenter les rangs des personnes sans domicile fixe.
Dr Alain Cohen

RÉFÉRENCES
Rubinow DR : Out of sight, out of mind: mental illness behind bars. Am J Psychiatry, 2014; 171: 1041–1044.

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