jeudi 16 octobre 2014

La chirurgie de l’obésité en plein essor

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par 
Yolande a perdu 55 kilos, Fabrice 60, Bernadette 19, Danièle 56… Ils sont quatre ce mardi 7 octobre à venir témoigner devant des patients du service de nutrition et de chirurgie digestive de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Quatre à avoir subi une chirurgie bariatrique. Dans la salle, une trentaine de personnes envisagent cette intervention. La plupart ont fait des régimes à répétition et veulent perdre du poids, le plus souvent pour des raisons médicales. Mais « attention », prévient d’emblée le docteur Camille Vatier, lors de cette réunion, « ce n’est pas une solution miracle, les complications existent, il faut le dire »
La chirurgie bariatrique (traduction du mot anglais issu du grecbaros, poids) connaît un essor important alors que l’obésité touche 6,9 millions de Français (15 % de la population adulte). Le nombre d’interventions a en effet triplé en huit ans, pour atteindre 44 000 actes en 2013, dont 80 % de femmes. Et ce chiffre augmente. Sur les trois techniques proposées, l’anneau est en perte de vitesse. La gastrectomie longitudinale (encore appelée sleeve, qui réduit l’estomac des deux tiers) est en plein essor, tandis que le bypass (court-circuit gastrique) augmente dans une moindre mesure.

Les recommandations de la Haute Autorité de santé sont très précises : ce traitement n’est indiqué qu’en deuxième intention, chez des patients dont l’Indice de masse corporelle (IMC, poids divisé par la taille au carré) est supérieur à 40. Voire 35 lorsque au moins une maladie associée est présente (diabète de type 2, maladies articulaires…). Les formes graves (IMC supérieur ou égal à 40) sont passées de 0,3 % de la population en 1997 à 1,2 % en 2012, soit 550 110 personnes, selon la dernière enquête nationale ObEpi-Roche. L’obésité sévère (IMC supérieur ou égal à 35) a progressé à 3,1 % en 2012 (contre 1 % en 1997).
MEILLEUR TRAITEMENT DE L’OBÉSITÉ SÉVÈRE
« Dans le cas de l’obésité sévère, la chirurgie est actuellement la méthode qui donne les résultats les plus durables et les plus significatifs. Ce qui ne veut pas dire que toute obésité sévère relève de cette méthode », souligne le professeur Arnaud Basdevant (Pitié-Salpêtrière). « La chirurgie reste le meilleur traitement pour l’obésité sévère », ajoute le professeur Olivier Ziegler, chef du service diabétologie et nutrition au CHU de Nancy.
En général, la perte de poids est en moyenne de 25 kilos pour l’anneau, 35 pour la sleeve et 45 kilos pour le bypass… avec une perte maximale entre douze à dix-huit mois, selon le docteur Christine Poitou-Bernert (Pitié-Salpêtrière). Si 16,5 % des personnes ayant eu recours à une chirurgie affichent un IMC inférieur à 25 – leur corpulence est considérée comme « normale » –, plus d’une personne opérée sur deux (54,2 %) est toujours obèse après l’intervention, selon l’enquête nationale ObEpi-Roche de 2012. Mais chaque cas est particulier, insiste le docteur Poitou-Bernert.
Première du genre, l’étude suédoise Swedish Obese Subjects (SOS) suit depuis dix ans une cohorte de 8 966 personnes (dont 4 047 ayant subi une intervention chirurgicale et le reste qui a suivi une prise en charge classique sans traitement). Au bout de deux ans, la perte de poids atteint 23,4 % parmi les 1 845 sujets du groupe opéré, contre 0,1 % des 1 660 sujets du groupe non opéré. Au bout de dix ans, sur 1 268 personnes, la diminution atteint 16,1 % contre 1,6 % dans le groupe contrôle.
De même, la chirurgie augmente l’espérance de vie en réduisant les maladies cardio-vasculaires et le cancer, améliore la qualité de vie et les comorbidités. Il a en effet été montré que la réduction de l’excès de poids entraîne une baisse du diabète de type 2, avec dans certains cas l’arrêt des traitements. C’est ce que constatait leprofesseur Philip Schauer (Cleveland) en mars dans le New England Journal of Medicine. C’est là une vaste piste de recherche. La chirurgie de l’obésité devient alors pour certains une chirurgie métabolique. Mais attention, « ce n’est pas un traitement pour le diabète », prévient le professeur Karem Slim, responsable de l’unité de chirurgie ambulatoire au CHU Estaing de Clermont-Ferrand.
L’un des enjeux de la réussite d’une chirurgie de l’obésité réside dans la bonne information du patient, en le rendant acteur de ce changement, avec une prise en charge pluridisciplinaire. Car l’opération est en effet loin d’être anodine. Techniquement ces interventions diffèrent, en termes de durée, de tolérance. Souvent, les personnes ayant un anneau ne peuvent plus manger de viande et préfèrent les choses sucrées, comme les glaces. Le risque le plus fréquent pour le bypass réside dans les carences nutritionnelles, en fer, en vitamines D, B12, B1. « La supplémentation est donc systématique. Il faut être extrêmement vigilant », avertit le professeur Jean-Michel Oppert, chef du service de nutrition à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, notamment pour les femmes désireuses de grossesse. Les effets secondaires comme les vomissements, les troubles intestinaux (constipation ou diarrhée) sont fréquents, de même que les malaises après repas. Sans parler de la fatigue, très fréquente.
Une nouvelle approche, appelée « réhabilitation améliorée », commence à se développer. Ce sont des mesures avant et après l’opération, qui visent à réduire l’agression de l’acte chirurgical et à améliorer le suivi et le confort du patient. Le professeur Slim est très actif sur le sujet. Il a mis au point le groupe professionnel francophone dédié à la réhabilitation améliorée après chirurgie.
Autre complication, entre la deuxième et la sixième ou huitième année, les patients opérés reprennent en moyenne 30 % du poids perdu, selon l’étude suédoise SOS. Une reprise de poids qui peut avoir des effets psychologiques importants. « Il faut être très vigilant sur le rapport du patient avec l’alimentation, car les problèmes peuvent réapparaître plus tard. Il faut réapprendre au patient à écouter les signaux de son corps », insiste Mélissa Hadoux, psychologue clinicienne au service de nutrition à la Pitié-Salpêtrière. 
« Pour moi, la nourriture est mon doudou, mais je ne peux plus marcher vingt mètres. Que dois-je faire ? », questionne ce monsieur très obèse, qui souhaite une opération. Le fait d’avoir des troubles du comportement alimentaire n’est par exemple pas compatible avec une chirurgie. Il faut tenter de les régler avant.« Plus le patient est préparé en préopératoire, suivi en postopératoire, informé et impliqué, moins il y aura de complications, explique Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses. L’aspect psychologique est essentiel. »
Le souci est que 30 % à 50 % des patients sont perdus de vue entre la deuxième et la huitième année après l’opération. Or celle-ci a des effets qui durent le reste de la vie. « L’enjeu réside dans la qualité du suivi de ces patients, de leur accompagnement », insiste le professeur Oppert. D’où la nécessité d’un parcours de soin. L’assurance-maladie suit la question de très près. Déjà, en février 2013, elle avait pointé de fortes disparités régionales dans une étude. Elle regarde aussi attentivement la chirurgie chez les jeunes : 700 jeunes de moins de 20 ans, dont 200 mineurs, ont subi des interventions bariatriques en 2013. Des recommandations sont en cours au niveau international qui tendraient à réserver ces interventions aux mineurs dont l’IMC est supérieur à 50. Dans tous les cas, ce type d’intervention, qui implique une modification drastique de son comportement, doit être très encadré.


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