lundi 20 octobre 2014

De plus en plus de Français se passent de complémentaire santé

LE MONDE | Par 
C’est sa baisse de revenus, une fois à la retraite, qui avait décidé Solange Tetaud, âgée de 77 ans, à se passer de complémentaire santé. « Je me suis dit : prions le bon Dieu, je n’ai jamais été malade… », explique l’ancienne aide à domicile et auxiliaire de vie. C’était en 2000. De fait, pendant treize ans, cette habitante de Cognac n’a eu qu’« une ou deux grippes ». Jusqu’au jour où une chute l’a conduite aux urgences, où lui ont été détectés des problèmes de vue, de diabète et de cholestérol. « J’avais passé toutes ces années à me négliger. Dentiste, ophtalmo, gynéco… Je n’y allais plus vraiment », reconnaît-elle. Elle est désormais de nouveau couverte par une mutuelle.
Pour une personne qui s’assure de nouveau, combien arrêtent ? En 2012, 3,3 millions de Français n’avaient pas de complémentaire, soit 500 000 de plus que deux ans auparavant, a calculé la Mutualité française – qui regroupe 95 % des mutuelles –, à partir de la dernière enquête de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). Un chiffre qui inquiète, alors que le gouvernement dit vouloir mettre l’accent sur l’accès aux soins, en ne touchant pas aux remboursements dans le cadre du budget de la « Sécu » dont l’examen commence mardi 21 octobre à l’Assemblée, et en inscrivant le tiers payant pour tous dans la future loi de santé.

5 % DE LA POPULATION

C’est la première fois que le nombre de non-bénéficiaires augmente. En 2012, 5 % de la population n’avait pas de complémentaire santé, contre 4,2 % en 2010. En 1980, le taux de non-couverture était de 31 %, et il avait toujours baissé depuis. La mise en place de la CMU-complémentaire et de l’aide à la complémentaire santé (ACS), puis les relèvements des seuils pour en bénéficier, avaient contribué à le réduire toujours davantage.
500 000 bénéficiaires en moins, « c’est un chiffre qui devrait alarmer nos gouvernants, quand on sait que le renoncement aux soins est deux fois plus important pour les personnes ne bénéficiant pas d’une complémentaire », alerte Etienne Caniard, le président de la Mutualité, qui voit là un « inversement de tendance ». Le 30 septembre, au lendemain de la présentation par le gouvernement du budget de la « Sécu » 2015, il avait regretté le manque de réforme structurelle du système d’assurance-maladie. L’absence de complémentaire concerne surtout les plus précaires, 14 % des chômeurs n’en ont pas, par exemple.
A l’Irdes, on parle cependant plutôt de « stabilité » du nombre de bénéficiaires. « Que cela baisse ou se stabilise, peu importe. Cela montre en tout cas qu’il y a une partie de la population que le système n’arrive plus à toucher », estime Paul Dourgnon, qui y est directeur de recherche. L’ACS n’est par exemple pas demandée par tous ceux qui y ont droit, du fait notamment de sa complexité.
La complémentaire pour tous, François Hollande l’avait promise en 2012. Pour l’heure, le gouvernement a uniquement amélioré la couverture santé des salariés, dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (ANI), laissant de côté jeunes, chômeurs et retraités.

100 000 PERSONNES PAR AN

Les prochains résultats seront donc observés de près. La Mutualité française avance que, d’après les retours des mutuelles adhérentes, le renversement de tendance se poursuit depuis 2012, sans donner de précisions. Même constat chez Jalma, société de conseil aux complémentaires, où l’on estime qu’en 2013 et 2014, 100 000 personnes par an auront fait le choix de se désassurer. « Les complémentaires nous rapportent que dans les enquêtes sur la résiliation des contrats, environ 20 % des gens en contrat individuel ne vont pas ailleurs après », affirme Mathias Matallah, son directeur.
Parmi les explications, il y a sans doute la crise. La hausse du chômage a pour effet une perte d’accès à une couverture collective pour certains, sans qu’un nouveau contrat soit signé forcément ailleurs. Mais pour la Mutualité, il y a aussi le « renchérissement inévitable » du prix des contrats, du fait de l’augmentation des taxes, passées de 1,75 % en 2005 à 13,27 % en 2012.
« Le phénomène ne peut être réduit à ceux qui n’ont pas les moyens, puisqu’il existe des aides, il y a aussi ceux qui ne veulent plus de complémentaire. Il y a un désamour de l’assurance, que l’addition des taxes n’arrange pas », estime M. Matallah. Parmi eux, des jeunes célibataires, qui pourront décider plus tard de s’assurer, une fois en couple et avec enfants. Mais pas seulement.

De quoi inquiéter les complémentaires : si les gens en bonne santé décident de ne pas s’assurer, cela posera aussi un problème pour l’équilibre du système, basé sur le principe de solidarité. Au Collectif interassociatif sur la santé, qui représente les patients, on se dit aussi attentif à la question. Au nom de l’intérêt collectif, mais aussi individuel, car ne pas avoir de complémentaire peut au final être risqué.

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