mercredi 3 septembre 2014

Solidarité vigile

LE MONDE DES LIVRES | 
Par 
En 2002, dans un morceau classique intitulé Ma définition, le rappeur Booba défiait les grandes maisons de disques en ces termes : « Vous comprenez, mon style/na pas besoin de vigile ». Douze ans plus tard, on repense à cette chanson en lisant Debout-Payé (Le Nouvel ­Attila, 174 p., 17 €), l’une des surprises les plus réjouissantes de cette rentrée littéraire, un roman doux et drôle, qui, lui, préfère camper la figure du vigile en statue de la liberté. Son auteur, qui se fait appeler Gauz, décrit l’existence d’hommes noirs, et habillés de noir, payés une ­misère pour rester debout douze heures pas jour.
Ossiri, le personnage principal, surveille tour à tour une boutique de vêtements Camaïeu, les Grands Moulins de Paris et le Sephora des Champs-Elysées. Debout-Payéraconte son histoire et fait vivre sa langue, ce langage si spécifique né dans le milieu des vigiles, ­notamment ivoiriens, et où le social se mêle sans cesse à l’ethnique. On croise donc des MIB (« Men in Black », les vigiles eux-mêmes), mais aussi des WIB (« Women in Black », femmes voilées), des FBBB (« Femmes Bété à Bébés Blancs », les nounous) ou encore des « gauloises tropiquettes », des jeunes filles noires très coquettes qui se donnent rendez-vous aux cabines d’essayage pour parler mode.

Mais par-delà les portraits sensibles, les dialogues hilarants et les chatoyants tableaux parisiens, l’enjeu politique ­s’impose : rester debout, planté là, c’est se sauver. Quand ce jeune enseignant d’Abidjan, devenu sans-papiers à Paris, monte la garde, il défend sa liberté : faire des rondes, c’est échapper aux patrouilles de police, ramener les voleurs vers la sortie, c’est éviter sa propre reconduite aux frontières. On comprend aisément, dans ces conditions, pourquoi il lui arrive de laisser filer telle femme enceinte qui vient de commettre un larcin dérisoire, ou d’expliquer aux tagueurs qu’ils pourront revenir achever leur œuvre, après sa ronde, le soir venu. La solidarité humaine, c’est une certaine manière de se ­tenir dans le monde. Debout.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire