mercredi 24 septembre 2014

Patrick Lemoine, psychiatre détox

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO Par 

Patrick Lemoine, à Meyzieu (Rhône), le 8 septembre 2014.

C’est le genre de médecin qui peut aider à faire un sérieux tri dans une pharmacie familiale. Docteur en neurosciences et psychiatre, Patrick Lemoine est en guerre contre les excès médicamenteux en tout genre. A commencer par ceux de benzodiazépines, ces tranquillisants et somnifères dont les Français sont parmi les premiers consommateurs du monde.
Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, il est intarissable, maniant habilement bon sens, provocation et sens de la formule. « Les benzodiazépines sont à l’origine de nombreux effets secondaires graves : apnées du sommeil, chutes, maladie d’Alzheimer… Récemment, une étude a même démontré que la mortalité est presque doublée chez les personnes qui en prennent plus ou moins régulièrement. Cela fait froid dans le dos… mais moins que l’absence de réaction des décideurs sur ce dossier », fulmine Patrick Lemoine, qui, comme clinicien et chercheur, a étudié ces médicaments et dénoncé leurs dangers depuis les années 1990. « A quand un Grenelle des toxiques ? », ironise-t-il en proposant une solution « simple » mais radicale : « Le remboursement des techniques de psychothérapie validées sur le plan scientifique. »
Au fil de nombreux livres grand public, ce thérapeute médiatique de 64 ans creuse ainsi le sillon d’une médecine moins chimique. Plus ouverte aussi aux approches alternatives de tout poil : relaxation, EMDR (Eye movement desensitization and reprocessing, une technique de désensibilisation et reprogrammation par les mouvements des yeux)…
PROVOCATION
Un état d’esprit que cet ex-hospitalo-universitaire, passé dans le privé en 2003, défend aussi auprès des 300 psychiatres qu’il encadre en tant que directeur médical des cliniques psychiatriques du groupe Orpéa-Clinea – soit une quarantaine d’établissements en France et dans des pays frontaliers. « La médecine oublie que dans notre cerveau se trouve un fantastique laboratoire pharmaceutique capable de lancer la fabrication de tous les médicaments de la création », résume-t-il dans Soigner sa tête sans médicaments… ou presque, son dernier livre (Robert Laffont, 384 pages, 21 euros).
Il s’y montre en revanche sans pitié pour la psychanalyse et son « échec retentissant en tant que technique de soins » ; et surtout pour Freud, « un neurophysiologiste spécialiste de la sexualité des anguilles » qui « n’a jamais réussi à se guérir de sa phobie des chemins de fer ni de son appétence pour la drogue (cocaïne) alors qu’il était supposé en comprendre les racines infantiles ». La provocation, encore.
« Patrick Lemoine est un homme brillant, trop parfois. Il ne rate jamais un bon mot, quitte à se faire des ennemis, sourit l’anthropologue François Lupu, ami de vingt ans, avec qui il a coécrit Quiproquos sur ordonnance, paru en 2006 (Armand Colin). Mais ce qui me frappe surtout, c’est l’attention qu’il porte à ses malades : je n’ai jamais vu un praticien avec une telle écoute. »
« EXPÉRIENCES » ORIGINALES
On l’imagine toutefois sans peine, à la lecture de ses livres. N’hésitant pas à se mettre en scène, le docteur Lemoine y conte d’originales « expériences » avec ses patients. Des contrats passés avec eux par exemple. « C’est une technique que j’utilise volontiers avec des personnes suicidaires, toxicomanes ou anorexiques, détaille-t-il. Je leur demande de s’engager par écrit à “ne pas se faire de mal” jusqu’à une date précise, éventuellement renouvelable. Le patient signe, moi aussi, et chacun garde un exemplaire. C’est un contrat au sens juridique du terme, c’est-à-dire limité dans le temps, et cela fonctionne car c’est très structurant. »
Le médecin se souvient ainsi d’une femme au bord du suicide chez qui le premier contrat n’avait couru que sur deux heures… Une autre patiente vient toujours le voir tous les six mois depuis dix ans pour renouveler son contrat de « non-suicide ». Une stratégie qui l’a aidée à plusieurs reprises à retenir un geste fatal.
Cette contractualisation, proche des thérapies comportementales et cognitives, Patrick Lemoine l’avait repérée à l’université américaine Stanford, où il a travaillé comme attaché de recherche, au début des années 1980. Il avait aussi rapporté dans ses bagages la luminothérapie, qu’il a été parmi les premiers à proposer en France pour le traitement des dépressions saisonnières.
« C’est un solide praticien, avec une expérience clinique que tout le monde n’a pas. Il n’est pas main stream et il a une liberté de parole, des qualités dont on a bien besoin en psychiatrie adulte »,souligne le psychiatre et chercheur Bruno Falissard.
Mais si les troubles dépressifs, ceux du sommeil et les psychotropes restent les sujets de prédilection du docteur Lemoine, sa bibliographie – plus d’une vingtaine d’ouvrages sur des thèmes aussi divers que les scènes de ménage, la séduction… – témoigne d’un indéniable éclectisme. D’un besoin presque maladif d’écrire aussi. « J’ai une graphorrhée, l’équivalent de la logorrhée pour l’écriture, confirme l’intéressé. C’est Odile Jacob qui m’a mis le pied à l’étrier, en 1996, avec Les Mystères du placebo » – devenu un ouvrage de référence sur le sujet.
« LES MALADES MENTAUX, PREMIÈRES CIBLES »
Depuis, cette manie ne l’a jamais quitté. Il a même publié un livre historique, Droit d’asiles (Odile Jacob, 1998), récit à peine romancé d’un épisode peu glorieux de la psychiatrie : la mort de 50 000 malades mentaux dans les asiles français pendant la seconde guerre mondiale. Dans les années 1990, Patrick Lemoine avait mené une enquête à ce sujet à l’hôpital du Vinatier (à Lyon), où il travaillait, organisé une exposition et même dirigé une thèse de médecine.
Quinze ans après, cette « extermination douce » continue de l’obséder. « On a laissé ces malades mourir de faim et de froid dans une indifférence totale », s’enflamme le médecin, qui en retient une leçon de vie : « Les malades mentaux sont les premières cibles en cas de crise. Le boulot des psychiatres, c’est d’être vigilants pour que cela ne se reproduise plus. »

Au quotidien, ce lève-tôt chronorigide – comme il se définit lui-même – est depuis dix ans directeur médical de cliniques psychiatriques, un métier qui consiste entre autres à exporter leur concept (en Chine, par exemple), assurer les formations du personnel, son recrutement… Une fonction de « chasseur de têtes » dans laquelle il semble comme un poisson dans l’eau. « A quoi reconnaît-on un bon psy ? », lui demande-t-on. La réponse fuse, comme une évidence : « C’est un psychiatre heureux. Je redoute ceux qui font cette spécialité pour se soigner. »

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