vendredi 29 août 2014

Serge Doubrovsky : “L'autofiction existait avant moi. Simplement, je lui ai donné un nom”

Nathalie Crom 
« Je suis un écrivain du XXe siècle, qui connaît l’extension de son nom, et du genre littéraire qu’il a lancé, au XXIe », dit avec douceur, avec étonnement presque, Serge Doubrovsky, en cet après-midi du mois d’août, assis dans un fauteuil, dans son appartement de l’Ouest parisien. Le Monstre, qu’il a écrit entre 1970 et 1977, et qui était demeuré à ce jour inédit, paraît ces jours-ci chez Grasset. Un livre hors norme ( mille sept cents pages), écrit sous l’égide de Freud et de Proust, et où sa plume prend de saisissants accents céliniens. En 1977, l’écrivain en avait tiré Fils, considéré comme le livre fondateur de l’autofiction. Extraits d'une rencontre avec un écrivain qui, à 86 ans, ne revendique rien – ni honneurs ni influence. Rien, si ce n’est « la langue française pour seule patrie ».

L’écrivain et le professeur en vous ont-ils la même définition de l’autofiction ?

L’écrivain l’a inventée, poétiquement, et le professeur et critique, que je suis aussi, lui a donné une définition plus précise. Celle qu’on propose toujours, depuis Fils, c’est : « une fiction d’événements et de faits strictement réels ». Une des formulations à laquelle je me tiens aujourd’hui, c’est « un récit dont la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement fictionnelle ». Il ne s’agit pas de raconter ma vie telle qu’elle s’est déroulée, mais selon la façon dont les idées me viennent. C’est-à-dire de manière non linéaire, et même disloquée. C’est notamment en cela que je me suis éloigné des écrivains du Nouveau Roman, qui ont été des amis personnels – Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Nathalie Sarraute et les autres, que j’aime en tant que personnes et que je respecte en tant qu’écrivains. Avec l’autofiction et le succès qu’a rencontré le genre, on a changé d’époque : on n’est plus dans le Nouveau Roman, mais plutôt avec Derrida, dans l’ère postmoderne – la déconstruction des textes, la brisure, la cassure du récit. Le récit de ma vie, je le disloque, je le déconstruis, pour en faire sortir ce qu’il peut y avoir d’intéressant.



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