mardi 12 août 2014

Quand la psychanalyse dévoile le voile

01/08/2014

Contrairement à ce qu’on pourrait croire a priori, la psychanalyse existe aussi en Iran[1] et sa présence est illustrée dans un article au titre explicite, Le divan et le tchador, publié par le magazine L’Année psychanalytique internationale. En Iran, le tchador constitue autant « un symbole social qu’un objet psychique, porteur de représentations symboliques tant des fonctions maternelles que paternelles pouvant parfois entrer mutuellement en conflit. » Selon les auteurs (rappelant que la tradition de couvrir la chevelure féminine d’un voile n’est pas propre à l’Islam, mais « partagée par le judaïsme et le christianisme », même si cette pratique y demeure moins vivace que chez les Musulmans), ce voile traditionnel revêt plusieurs fonctions : « reste de contenance maternelle », « refuge psychique au service de la résistance ou de la défense », équivalent du concept de « moi-peau » proposé par Didier Anzieu[2]…

La fonction contenante de la peau s’étendrait aux vêtements (dont le voile des cultures islamiques) pour donner « une enveloppe maternelle imaginaire à l’individu. » Chez ces femmes voilées (que la caricature occidentale assimile trop hâtivement à des « victimes » plus ou moins consentantes d’un machisme masculin qui détournerait les préceptes religieux pour mieux les soumettre), le voile pourrait servir de « second moi-peau », à l’instar d’un « bouclier contre un monde perçu comme intrusif. »
Les auteurs s’accordent sur la nature « problématique de la relation mère-fille chez les patientes pour qui le tchador a la fonction d’une enveloppe psychique ou d’une cellule de prison. » Et quand une femme portant le tchador se démarque de cette tradition, elle éprouve généralement « le sentiment profond d’avoir trahi sa mère. » S’il est facile de limiter le débat sur le voile à ses aspects politiques, culturels et religieux, les auteurs proposent une lecture centrée sur la dimension psychologique, notamment « le contentieux œdipien mère-fille » où la mère poserait avec la prescription du voile un « interdit sur les désirs exhibitionnistes (de sa fille) et sur toute compétition pécheresse et dangereuse » où la fille non voilée constituerait une rivale menaçante pour la mère, telle Blanche-Neige à l’égard de sa belle-mère. Instance protectrice de mise à distance d’une sexualité « redoutable », le voile permettrait ainsi de se tenir à l’écart d’une image à connotation érotique trop difficile à gérer. Objet transitionnel à part entière, frontière (illusoire ?) entre « le soi et l’environnement », le tchador aurait la fonction « magique » de protection contre un naufrage et une submersion dans un « abîme moral. »
Enfin, vue d’Occident, en particulier de France où existent des « lois controversées » contre le port du voile en public, l’« obsession » contre le voile semble liée aussi à un « conflit plus profond, inconscient, bourré de culpabilité », relatif au « passé colonialiste du pays. » Les auteurs rappellent que si le voile est souvent critiqué aujourd’hui en Europe, il fut pourtant un temps où il avait au contraire une valeur érotique et positive, créant une « atmosphère mystérieuse, attrayante, accentuant la beauté des yeux de la femme arabe. » Et si Freud estimait que les préoccupations pour les vêtements seraient essentiellement d’ordre « fétichiste », le voile aurait surtout une fonction contraphobique pour réprimer, tel un « surmoi maternel punitif », toute érotisation insidieuse sous couvert (c’est le cas de le dire) d’un risque d’opposition à « Dieu, le surmoi suprême. »

Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCES
Movahedi Siamak & Homayounpour Gohar: Le divan et le tchador. L’Année psychanalytique internationale, 2014/1 Volume 2014, p. 87–109.

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