mercredi 6 août 2014

« Il se peut très bien qu’un prochain matin, je ne me lève pas » : le témoignage poignant d’un chirurgien épuisé

18/06/2014


Le Dr X, médecin gynécologue et chirurgien de 54 ans, qui consulte en cabinet et opère en clinique en région parisienne, a livré un témoignage édifiant lors d’une conférence organisée en début de semaine à Paris par un cabinet spécialisé dans la régulation de troubles et la prévention de risques psychosociaux en milieu professionnel.
Exigences croissantes des patients « consommateurs », charges, honoraires, rivalités, ras-le-bol... : ce médecin « proche de l’épuisement » a expliqué sans fard les ressorts de sa détresse.

Manque de reconnaissance

« J’éprouve une certaine frustration à ne pas faire exactement les choses pour lesquelles j’ai une certaine compétence. Les femmes me demandent comme gynéco, mais le jour où elles doivent se faire opérer, elles vont à l’hôpital d’en face. Je n’ai pas fait 15 ans d’études pour ça. J’aimerais avoir des patientes qui ne passent pas leur temps à annuler leurs rendez-vous, ni à me demander avant tout combien je prends en honoraires. La relation avec les patients devient difficile, le lien s’est beaucoup dégradé en dix ans. Ils nous consomment, ils nous"chosifient". J’éprouve un sentiment de manque de reconnaissance, c’est une souffrance. J’ai 8 000 euros de charges fixes mensuelles, et j’ai parfois des problèmes économiques : en juin, je vais faire 8 000 eurostout juste d’honoraires, c’est-à-dire que je ne vais rien gagner. J’ai un sentiment de précarité.

Compétition

Mes relations avec mes collègues de la clinique sont bizarres. Tout le monde est à l’affût de travail, nous sommes tous dans la rivalité ! Au milieu de ces confrères, je me sens seule, très isolée. Il m’arrive d’aller boire un café avec eux, mais dès qu’il s’agit de boulot, tout change. Quand je me fais aider professionnellement par un collègue, je suis obligée de lui rétrocéder le montant de mon dépassement d’honoraires, sinon il ne m’aide pas. Et si on s’adresse des patients, c’est 20 % de rétrocession. Il faut être clair : le côté tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, ça n’existe pas. Vous ne pouvez guère attendre de soutien de gens qui sont en rivalité avec vous. Vous êtes toujours seul.

Retrouver le plaisir d’exercer

Je pourrais aller travailler à l’hôpital, je l’ai déjà fait. On y exerce en équipe, on est salarié, et sans soucis d’argent. Le problème c’est qu’à l’hôpital, "on ne fout plus rien". On vous dit, "arrête un peu, va moins vite, reste derrière ton ordinateur, on t’appellera dans une heure quand on sera prêts". Je ne le supporte pas, parce que je suis une bosseuse. Mais si je ne trouve pas de meilleure solution, j’y retournerai peut-être.
Si les choses continuent comme ça, je ferai peut-être un burn-out. J’ai un sentiment de ras-le-bol et suis proche de l’épuisement. Il se peut très bien qu’un prochain matin, je ne me lève pas. Je suis inquiète, et je me dis qu’il va falloir trouver une solution assez rapidement. Heureusement, j’ai beaucoup d’amis à qui je parle souvent. Je suis satisfaite de leur écoute, mais ça ne résout pas le problème. La solution, c’est à moi de la trouver. Mon problème, c’est comment faire pour me sentir un peu moins seule, et comment retrouver le plaisir d’exercer comme à mes débuts. »
H.S.R.

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