mercredi 27 août 2014

«Il n’existait aucun chiffre sur le nombre total de morts»

PIERRE BENETTI
INTERVIEW

Chercheuse à l’Inserm, Cécile Vuillermoz a mené la première étude scientifique sur le sujet 

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Première auteure d’une étude publiée en juillet (1) sur le recensement des morts dans la rue, Cécile Vuillermoz a effectué ce travail au Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc), un des laboratoires (2) de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Comment en êtes-vous arrivés au chiffre de 6 730 morts entre 2008 et 2010 ?

Dans cette étude, la méthode utilisée pour estimer le nombre de décès de personnes sans domicile est appelée méthode «capture-recapture». A partir de deux ou plusieurs sources non exhaustives et indépendantes, elle permet d’estimer le nombre d’observations non recensées par chacune d’elles. En les croisant, on peut ainsi déterminer le nombre total de cas sur une période et un territoire donnés. Il existe deux sources collectant des données sur les décès des sans-domicile, tout au long de l’année et au niveau national : le collectif les morts de la rue et l’Inserm-CépiDc.
Le collectif recense depuis 2008 environ 400 morts par an. Cependant, il est loin d’être une source de données exhaustive, même si elle est la plus importante en France. De même, l’Inserm-CépiDc identifie 241 décès pour lesquels le médecin ayant certifié la mort a fait mention du fait d’être sans domicile fixe entre 2008 et 2010. Nous n’avons aucun élément permettant de penser que ces chiffres sont sous-estimés. Cependant, il est essentiel de noter que la précision de cette estimation est faible, puisque la vraie valeur a 95% de chances de se situer entre 4 381 et 9 079 décès.

En sait-on plus sur les facteurs de décès dans la rue ?

Une autre étude, publiée en septembre 2013, a été menée par l’Inserm-CépiDc à partir des données du Collectif les morts de la rue afin de caractériser la mortalité des personnes sans domicile. Globalement, les causes de décès sont assez similaires à celles de la population française en général.

Quelle définition avez-vous donnée à «sans-abri» ou «SDF» ?

Il faut bien distinguer une personne sans-abri d’une personne sans domicile. Une personne sans domicile n’a pas de logement personnel mais peut être hébergée par un tiers, par un centre d’hébergement ou être à la rue. Une personne sans abri est une personne à la rue, au sens strict du terme, sans hébergement, et représente si l’on peut dire un sous-groupe des personnes sans domicile. Dans notre étude, nous estimons le nombre de décès au sein de la population sans domicile, et donc l’ensemble des personnes sans logement personnel.
La définition même est celle se rapprochant de l’Insee : «une personne est qualifiée de "sans-domicile" un jour donné si la nuit précédente elle a eu recours à un service d’hébergement ou si elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune).» L’Insee a procédé à deux recensements, en 2001 puis en 2012. Or cette population est très mouvante. En particulier, depuis quelques années, on voit apparaître des familles sans domicile, avec des enfants très jeunes, ce qui modifie complètement la structure par âge et sexe. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a eu une augmentation de 50% du nombre de personnes sans domicile en France entre 2001 et 2012.

A quoi pourraient servir de telles statistiques dans le cadre d’une politique publique en faveur des sans-abri ?

Auparavant, il n’existait aucun chiffre sur le nombre total de décès de personnes sans domicile. De telles statistiques permettent d’avoir un premier aperçu de l’ampleur de ce problème de santé publique. Elles montrent qu’il ne s’agit pas d’un épiphénomène, mais bien d’une préoccupation importante. Cette étude constitue une première étape dans la mise en place d’une surveillance de la mortalité au sein de cette population.
(1) «Estimating the Number of Homeless in France, 2008-2010», BMC Public Health, juillet 2014.
(2) Inserm-CépiDc, le Collectif les morts dans la rue, l’Observatoire du Samu social, l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
Recueilli par P.Bi.


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