mercredi 6 août 2014

Des centaines de parents adoptifs privés de leurs enfants bloqués à l’étranger

LE MONDE Par 

La République démocratique du Congo, comme d’autres pays, suspend les dossiers déjà validés par crainte des abus et des trafics.

Dimanche 15 juin, si tout se passe comme prévu, Adeline Benabdallah, 36 ans, descendra de l'avion en provenance de la République démocratique du Congo (RDC) en compagnie de sa fille de 3 ans, Hannah. Dans la chambre du pavillon de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) réservé à l'enfant, ses affaires l'attendent depuis de longs mois : le lit longtemps resté démonté (« je ne voulais pas le voir vide », dit la jeune femme) ; les vêtements devenus trop petits ; le cadre en bois confectionné par Mme Benabdallah au nom d'Hannah.
La petite fille est l'un des rares enfants autorisés à rejoindre sa famille d'adoption depuis que le gouvernement congolais a décidé de suspendre la délivrance d'autorisations de sortie du territoire pour tous les enfants adoptés par des étrangers, en septembre 2013. Plusieurs centaines de familles sont concernées, dont environ 200 familles françaises, à tous les stades de la procédure. Plusieurs dizaines de dossiers sont complètement finalisés : les jugements ont été rendus, les commissions ad hoc les ont validés.

« ON LA VOIT GRANDIR EN PHOTO »
Mais seules six familles françaises ont été autorisées à venir chercher leur enfant à titre exceptionnel, comme gage de la bonne volonté du gouvernement congolais, soumis à une pression diplomatique croissante. Le sujet a été évoqué entre François Hollande et le président de la RDC Joseph Kabila, lors d'une rencontre à Paris le 21 mai. « Il reste énormément de dossiers bloqués, dont la situation est encore plus dramatique,alerte Mme Benabdallah, fondatrice d'un collectif de familles concernées. Quelle frustration ! »
L'attente est très difficile à vivre. Christophe et Sandrine (tous les prénoms ont été modifiés) ont adopté une petite fille qui avait 5 ans lors de l'apparentement (attribution de l'enfant à une famille). Elle en a aujourd'hui 7. « On la voit grandir sur les photos qu'on nous transmet de temps en temps, raconte Christophe. Elle aussi a des photos. On lui dit : “Voilà ta famille, ton école”. Elle ne voit rien venir. Cela ne doit pas être évident non plus. » Le jugement d'adoption a été rendu en septembre 2013. « C'est une situation ubuesque, nous sommes légalement responsables d'elle, poursuit le père. Mais la situation nous échappe complètement. »
« Le plus difficile, ce sont les hauts et les bas, résume Nathalie, une autre mère adoptive. On ne peut pas vivre dans l'attente, mais il faut être disponible car le jour où ça rouvre on peut partir dans les quinze jours. » Certaines familles doivent repasser leur agrément car l'âge de l'enfant (moins de 3 ans) ne correspond plus.
« LES ADOPTANTS SONT CONSIDÉRÉS COMME DES PRÉDATEURS »
Les autorités congolaises n'ont donné aucune explication officielle. Mais l'inquiétude sur le sort des enfants semble motiver la décision, annoncée peu après la parution d'une enquête de l'agence de presse Reuters qui mettait en évidence l'existence d'échanges d'enfants adoptés, par le biais d'Internet, hors de tout contrôle, aux Etats-Unis.
Ces faits sont venus conforter la mauvaise image de l'adoption internationale dans le pays. « Il y a beaucoup de fantasmes,relate Sandrine Métivier, directrice de l'organisation agréée pour l'adoption Chemin vers l'enfant. Nous payons encore pour l'Arche de Zoé. Les adoptants sont considérés comme des prédateurs. »D'autant que l'adoption y est en pleine expansion. « Après la fermeture d'Haïti, beaucoup d'adoptants ont basculé vers l'Afrique », poursuit Mme Métivier.
Le gouvernement congolais balaie également devant sa porte en vérifiant ses propres procédures. Les autorités ont visité leurs orphelinats pour vérifier l'adoptabilité des enfants. Elles devaient auditer les pays d'accueil, mais les visites annoncées n'ont pas eu lieu. Les autorités annoncent désormais leur volonté de légiférer sur le sujet. La loi s'appliquerait rétroactivement.
SEULS 1 343 ENFANTS ÉTRANGERS ADOPTÉS EN FRANCE EN 2013
Les familles françaises comprennent cette prudence. « C'est tout à leur honneur », dit Mme Benabdallah. Elles demandent cependant qu'on n'oublie pas « l'intérêt de l'enfant ». D'autant que la France n'est pas directement en cause. « Le sérieux du contrôle des procédures et du suivi post-adoption dans notre pays est largement reconnu », souligne-t-on au Quai d'Orsay.
Le cas de la RDC n'est pas isolé. Certains pays se ferment temporairement en raison de guerres ou de catastrophes naturelles qui favorisent erreurs et trafics. Mais le mouvement est plus durable. A mesure de leur développement économique, de nombreux pays revoient leurs procédures. « Ils savent que leur capital humain est une richesse et ne veulent plus laisser partir leurs enfants petits et en bonne santé », explique Geneviève André-Trévennec, de Médecins du monde.

Illustration de difficultés croissantes, en 2013, seuls 1 343 enfants étrangers ont été adoptés en France, contre 4 000 en 2005. Les enfants proposés sont plus grands, en fratries ou atteints de pathologies. Les délais d'attente s'allongent. Cette situation pose la question de l'adaptation du système français : malgré le faible nombre d'adoption, plus de 22 000 agréments sont actuellement valides.

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