dimanche 6 juillet 2014

La brindille dans l'oreille, à la mode chez les chimpanzés

LE MONDE Par 

En s’introduisant un brin d’herbe dans l’oreille, ces grands singes auraient inventé une pratique qui se transmet de génération en génération, alors qu’elle n’est associée à aucun but.

Les chimpanzés sont-ils victimes de la mode ? En s’introduisant un brin d’herbe dans l’oreille, ces grands singes auraient inventé une pratique qui se transmet de génération en génération, alors qu’elle n’est associée à aucun but. C’est ce que révèle une étude publiée le 11 juin dans la revue scientifique Animal Cognition par Edwin van Leeuwen et son équipe de l’institut Max-Planck d’anthropologie évolutive de Nimègue (Pays-Bas).
La découverte surprend les spécialistes des primates sociaux, habitués à observer des comportements ayant une fonction clairement établie chez les chimpanzés sauvages, notamment avec l’utilisation d’une large palette d’outils pour casser des noix ouvertes ou pêcher des termites.
En revanche, dans le cas rapporté par les Néerlandais, ces grands singes font preuve d’un étonnant comportement qui n’aurait pas d’autre effet que de se conformer à une tendance de groupe, comme s’ils suivaient la mode. Ils ramassent un brin d’herbe, l’adaptent à leur convenance et l’introduisent dans leur oreille avec la main, spontanément ou après avoir vu faire un congénère.« Ils laissent la brindille dans leur oreille, même lors des séances de toilettage et de jeu avec leurs congénères, parfois pendant des périodes assez longues », précise Edwin van Leeuwen.

« UNE MODE LOCALE »
Pour mieux comprendre les raisons de ce comportement, le primatologue a analysé 740 heures de vidéos réalisées entre 2011 et 2012 au cœur du Chimfunshi Wildlife Orphanage Trust, un sanctuaire pour chimpanzés orphelins situé au nord-ouest de la Zambie.
Après un an passé à observer 94 chimpanzés adultes répartis dans quatre groupes vivant dans des enclos forestiers de 20 à 80 hectares, le constat est sans appel : depuis la première observation du comportement « brin-dans-oreille » chez une femelle adulte en 2010, cette pratique unique a été adoptée par 8 chimpanzés sur les 12 de son groupe, sans qu’aucun but précis semble y être associé. « Nos observations montrent que les chimpanzés copient spontanément un comportement arbitraire aperçu chez les membres de leur groupe », souligne Edwin van Leeuwen. Dans 94 % des cas, ce geste se manifeste même simultanément chez des chimpanzés situés à proximité.
« Ce comportement, visiblement dénué de toute fonction, apparaît plutôt comme une mode locale telle que nous pouvons la voir chez l’homme, ce qui souligne la force de l’apprentissage social », précise Andrew Whiten, professeur de psychologie à l’université de St Andrews (Ecosse). 
Les auteurs suggèrent que la transmission de cette pratique au reste du groupe aurait en effet été facilitée par la propension des chimpanzés à s’inspirer des faits et gestes de leurs congénères pour les reproduire. « Il est rare d’observer de l’innovation chez les chimpanzés, or, cette étude révèle qu’un comportement peut être inventé simplement par n’importe quel individu, souligne Thibaud Gruber, de l’université de Neuchâtel (Suisse). Il aurait toutefois été intéressant d’appréhender les mécanismes d’acquisition sociale de cette nouvelle tendance, entre l’individu l’ayant inventé et les congénères qui la reproduisent. »

Selon les auteurs, l’apprentissage de ce comportement arbitraire qui perdure dans un seul groupe de chimpanzés s’inscrit dans une forme de tradition. « Toutes sortes de sous-cultures à la mode dans la culture humaine, comme le fait de porter des boucles d’oreille, pourrait s’apparenter à ce comportement “brin-dans-oreille »conclut Edwin van Leeuwen. Reste à vérifier s’il existe un intérêt social à se conformer à cette mode sans fonction apparente, mais a priori ancrée culturellement.

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