dimanche 29 juin 2014

« Refusons le commerce des ventres ! »

LE MONDE | Par 
Point de vue. Il était clair depuis longtemps que l’inscription à l’état civil français des enfants nés de mères porteuses à l’étranger était un cheval de Troie actionné par les partisans de la gestation pour autrui. Ils se réjouissent probablement aujourd’hui de la condamnation, par la Cour européenne des droits de l’homme, de la décision de la Cour de cassation, qui, elle – pour des raisons essentielles –, avait refusé de transcrire à l’état civil les enfants nés de mères porteuses à l’étranger (décisions du 6 avril 2011 et du 13 septembre 2013). La France va-t-elle céder sur un sujet aussi fondamental ? Elle n’est nullement obligée de le faire, puisque la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas autorité sur le droit français (à la différence de la Cour de justice des communautés européennes).
La secrétaire d’Etat à la famille, Laurence Rossignol, a promis de « tenir » sur le principe « fort » de non-commercialisation du corps humain. C’est une bonne nouvelle. Mais, dans le même temps, la ministre de la justice, Christiane Taubira, s’est dite « attentive à la situation des enfants ». Nous le sommes tous !
Mais si cela devait signifier que le gouvernement est prêt à légaliser – par une transcription à l’état civil – une filiation frauduleuse selon notre droit, sous prétexte qu’elle a été établie dans un pays étranger, ce serait une aberration, pour ne pas dire une hypocrisie. En effet, on donnerait d’avance raison à ceux qui contournent la législation en vigueur, puisque le droit devrait ensuite s’incliner devant le fait accompli ! Et l’on irait tout droit vers une légalisation de la pratique des mères porteuses en France. On peut attendre de notre pays qu’il contribue à protéger sur son sol et ailleurs le respect de la personne.
UNE DÉCISION SANS FONDEMENT CLAIR
Pourquoi la France a-t-elle jusqu’ici interdit l’usage des femmes comme mères porteuses ? Parce que notre droit, comme celui d’autres pays, repose sur la distinction entre les personnes et les choses. Les choses peuvent s’échanger, elles peuvent être données ou vendues : ce n’est pas le cas des personnes.
La Cour de cassation a toujours refusé l’usage de mères porteuses au nom du respect de la personne humaine et de son corps. Elle a donc exclu la possibilité de faire du corps humain un objet d’échange. On ne peut donc pas légalement louer le corps d’une femme pour en faire un instrument de production d’enfants. Et l’enfant lui-même, en tant que personne dès sa naissance, ne peut être ni donné ni vendu. Serait-il cohérent, alors, de garantir le droit des personnes, sur le sol français, et par ailleurs d’inciter les couples ou les individus à aller exploiter la vie des Indiennes ou des Américaines ? C’est exactement ce que l’on ferait en décidant d’inscrire à l’état civil français les enfants nés de mères porteuses à l’étranger.
A l’opposé, sur quoi repose la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ? Elle prétend s’appuyer sur le « droit à l’identité », lui-même faisant partie du « droit à la vie privée », et elle se prononce au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Tout cela n’a ni fondement clair ni cohérence. Car les enfants nés dans ces conditions ne sont aucunement privés d’identité : ils ont un état civil et des passeports délivrés par le pays où ils sont nés (et pourront acquérir plus tard la nationalité française). Ils sont héritiers des parents indiqués par cet état civil (et dont l’autorité parentale n’est contestée par personne). Ils peuvent donc mener une vie familiale normale, ce dont on doit évidemment se réjouir – sans être dupes de la propagande éhontée qui les présente comme des « fantômes de la République ».

Demandons-nous plutôt ce que vaudrait le droit, dans cette République et en Europe, s’il abdiquait devant les marchés du corps humain. Il est lamentable de voir la marchandisation mondiale des bébés et des femmes mise au compte des « droits de l’homme ».


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