mercredi 18 juin 2014

Lynchage d’un jeune Rom : non à l’indifférence

LE MONDE | 
Editorial du « Monde ». La « cité des Poètes », à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), porte affreusement mal son nom. C'est à proximité de ce quartier déshérité qu'un jeune Rom de 16 ans, Darius, a été retrouvé, abandonné dans un chariot de supermarché, entre la vie et la mort, vendredi 13 juin. Avec sa famille, il vivait dans un campement de fortune, de l'autre côté de la nationale 1.
La population de ce bidonville avait brusquement augmenté depuis quelques semaines, après le démantèlement d'autres campements de Seine-Saint-Denis, un département où se concentrent près de 20 % des 17 000 Roms, le plus souvent originaires de Roumanie et de Bulgarie, qui vivent, ou plutôt survivent, en France. Depuis, l'on avait assisté à une explosion des cambriolages dans le quartier, provoquant l'exaspération des habitants, assure le maire socialiste de Pierrefitte. Darius lui-même était connu des services de police pour des faits de vol et de conduite sans permis. Selon les enquêteurs de la police judiciaire, c'est à la suite d'une nouvelle tentative de cambriolage que des habitants du quartier auraient décidé de régler l'affaire eux-mêmes.

Cité des Poètes, on appelle cela « une raclée qui a mal tourné ». En clair, c'est un lynchage. Une expédition punitive dans une misérable guerre des très pauvres contre les plus pauvres. Un règlement de comptes ordinaire dans un climat de violence banalisée où l'on solde les différends à coups de battes de base-ball, sans faire appel à une police exécrée.
Le président de la République a dénoncé, le 17 juin, des « actes abominables et injustifiables, qui heurtent tous les principes sur lesquels notre République est fondée »« Inacceptable », a dénoncé le premier ministre, tandis que le ministre de l'intérieur rappelait qu'il revient aux forces de sécurité, et à elles seules, « de faire respecter l'ordre public ».
UN SILENCE EMBARRASSÉ
Au-delà de ces réactions officielles et de celles, accablées, des associations qui militent pour faire respecter les droits élémentaires des populations roms, ce fait divers tragique n'a suscité qu'un silence embarrassé. Et pour cause : il est la conséquence de plusieurs années de politiques publiques inefficaces, qui entretiennent la misère de ces communautés roms et font prospérer, à leur encontre, un racisme larvé dans la société française.
Ainsi, la circulaire du 26 août 2012, signée par Jean-Marc Ayrault, entendait rompre avec la politique mise en œuvre durant le mandat de Nicolas Sarkozy. Ce texte était censé accompagner les démantèlements de campements roms de solutions de relogement adéquates et d'un suivi social. Or, entre 2012 et 2013, le nombre d'expulsions de campements a doublé, selon la Ligue des droits de l'homme, sans que les mesures de relogement et d'insertion prévues aient été appliquées. Sinon de façon marginale, le plus souvent ignorées – ou rejetées – par les Roms eux-mêmes.

Faut-il rappeler, cependant, que la République serait indigne d'elle-même si elle laissait s'installer cette indifférence coupable ? Sauf à admettre son impuissance face à de sinistres vendettas comme celle de la cité des Poètes. Ce serait le pire.


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