mardi 17 juin 2014

A l’école le jour, à la rue la nuit

RÉMI BANET

Au lycée Edith-Piaf de Belleville (XXe arrondissement), il a fallu rouvrir des sanitaires de l’ancien internat. A Hector-Guimard, dans le XIXe, aux mêmes maux les mêmes symptômes : «Les douches des ateliers et celle de l’infirmerie servent de plus en plus souvent», observe Benoît Boiteux, le proviseur. Confrontés à une hausse du nombre de mineurs isolés étrangers (MIE) exclus des dispositifs de l’Aide sociale à l’enfance (ASE, censée assurer leur prise en charge jusqu’à leurs 18 ans) et parfois contraints de vivre à la rue (lire ci-contre), enseignants et proviseurs des lycées professionnels de Paris improvisent pour assurer à leurs élèves des conditions d’éducation décentes.
Dans leur ligne de mire, l’ASE, qu’ils accusent de se dérober à sa mission de protection des mineurs. «L’Etat est divisé en deux sur cette question. D’un côté, l’Education nationale ouvre grand ses portes à ces jeunes et, de l’autre côté, l’ASE rechigne de plus en plus à tous les prendre en charge, prétextant des restrictions budgétaires», regrette Benoît Boiteux.

«Inacceptable». Le mois dernier, Nicolas Bray, secrétaire académique adjoint en Ile-de-France du SNPDEN, le syndicat majoritaire des chefs d’établissement, a envoyé un mail à ses collègues pour recenser les cas d’élèves livrés à eux-mêmes : «Ça fait un peu plus d’un an que les proviseurs des lycées professionnels alertent sur la situation. On a de plus en plus d’élèves à la rue, d’autres qui ont déjà disparu de nos écrans radar», s’inquiète-t-il. Proviseur du plus grand lycée professionnel de Paris, Benoît Boiteux est le plus confronté au problème.«C’est inacceptable. J’ai quinze mineurs étrangers qui ne sont pas ou plus pris en charge par l’ASE, déplore-t-il. On les fait manger au lycée gratuitement et on a réussi à en loger six dans notre internat, mais on ne peut pas trouver de solution pour tout le monde, surtout quand c’est du matin pour le soir.»
L’inquiétude est partagée chez les enseignants des autres lycées professionnels parisiens. Certains ont fini par prendre les devants : «J’ai déjà accueilli des élèves chez moi pour ne pas qu’ils dorment à la gare du Nord. Et malheureusement, des profs qui en hébergent, comme moi, y’en a plein», confie Nathalie (1), enseignante en classe d’insertion et de scolarisation (CSI). Sur ses onze MIE, quatre sont à la rue. «Au début de l’année, on a vendu des gâteaux pour récolter un peu d’argent pour eux, mais c’est du bricolage !» L’été dernier, une de ses collègues a logé une élève de 16 ans pendant quatre mois. «Je ne me suis pas posé la question, je lui ai dit de venir chez moi. Mais on devrait pas avoir à faire ça», fulmine-t-elle.
Brèche.«Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas de MIE à la rue», concède Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile, qui travaille en étroite coopération avec l’ASE de Paris. «Le problème peut surgir pour ceux qui sont dans la période d’incertitude, entre 17 et 19 ans. Mais les capacités d’hébergement sont réduites», souligne-t-il. Conseillère de Paris chargée de la protection de l’enfance, Nawel Oumer dit ne pas avoir connaissance de tels dossiers parmi les 1 900 MIE pris en charge par l’ASE de Paris. Et s’ils existent, l’ASE n’est pas responsable. «Quand une décision de justice a été prise [sur leur majorité], on n’a plus la main»,relève-t-elle. Nawel Oumer souligne également que les recours - pour ceux qui réfutent être majeurs - ne sont pas suspensifs, d’où des périodes de non-prise en charge par l’ASE qui peuvent durer de longs mois. Pour le corps enseignant, autant de temps à bricoler et à colmater les brèches.
(1) Le prénom a été modifié.

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