Psychiatrie à Berck : réelles maltraitances ou dénonciations calomnieuses?

16/05/2014

par Cyril Masurel

Plusieurs patients d’une structure psychiatrique de Berck se sont plaints auprès de « La Voix du Nord » de mauvais traitements. Appel de détresse ou volonté de nuire ? Un psychiatre présente les difficultés de son secteur et les enjeux des soins à prodiguer.

Volonté absolue de garder l’anonymat. Les trois patients des Goélands (un hôpital de jour psychiatrique situé à Berck et dépendant du CHAM) qui ont contacté La Voix du Nordn’en démordent pas et ne veulent pas être identifiables (lire ci-dessous). L’un d’eux résume : « Au quotidien, il se passe des choses pas nettes ici, il y a des maltraitances. Les soignants disent des choses qu’ils n’ont pas à dire, ils nous manquent de respect. Parfois ils disent qu’on fait des bêtises et ils décident de nous mettre à l’isolement. Si on résiste, on nous fait une piqûre. Les soignants nous donnent des médicaments qu’ils n’ont pas à nous donner ou parfois aussi ils se trompent dans les traitements. Tous les patients sont mélangés alors que certains sont plus dangereux que d’autres. » La diatribe est fournie, développée mais semble parfois disproportionnée.

Le docteur François Dupriez, chef de service psychiatrie et addictologie au CHAM, prend le temps d’expliquer posément certaines spécificités de son domaine : « Parfois, un patient perçoit différemment la réalité. C’est un cas typique de psychose. Le rôle du psychiatre est alors de réussir à dire qu’il y a deux réalités différentes et non d’affirmer au patient qu’il a tort. Ce sont deux mondes différents qui doivent se retrouver dans le champ social pour engager un certain vivre ensemble. Je suis totalement disponible pour les personnes qui vous ont contacté, je les invite à venir discuter avec moi, car je ne crois pas réellement à des actes de maltraitance. »

Obligation de soins

sur décision judiciaire

Un responsable de la CFDT, le syndicat majoritaire du CHAM, insiste également sur le «ressenti patient ». En psychiatrie, un simple écart de langage peut effectivement être éprouvé plus violemment par les patients. D’autant que certains, astreints à une obligation de soins sur décision judiciaire, sont plus réticents que d’autres.

Il y a aussi une indéniable proximité. « Le personnel est plongé au cœur des problèmes des patients et ceux-ci sont en permanence au contact de leur infirmier référent. Alors certes, il y a des tiraillements possibles, des situations qui peuvent être mal vécues, mais il n’est pas question de maltraitances », décrit le syndicaliste.

Le docteur Dupriez renchérit : « Faire une piqûre de force, ça n’existe pas. En dehors d’un cas d’agitation extrême. D’autant que les gens dits dangereux ne sont pas en hospitalisation de jour. Dans ce type de structure on cherche le plus souvent l’alliance avec le patient, en préparant avec lui un programme de soins. Le but est de lever la notion de contrainte, afin d’éviter un placement sans consentement à l’hôpital. Aux Goélands, on parle de soins psychiatriques libres. D’ailleurs, la porte de l’établissement n’est pas fermée à clef, on ne retient personne de force. »

Plusieurs instances recueillent les doléances dans le cadre de problèmes de prise en charge, au CHAM comme à l’ARS (Agence régionale de santé). Des patients comme des professionnels de santé peuvent signaler un dysfonctionnement auprès de l’IGR (Inspection générale régionale) en envoyant un courrier à l’antenne lilloise de l’ARS. L’Agence s’engage également dans un programme national d’inspection. Contactée, l’ARS indique que les Goélands n’ont jamais été pointés du doigt et qu’aucun incident n’a été signalé récemment.

«On ne peut parler à personne ici»

Ils sont trois. Trois patients. Qui parlent au téléphone d’une voix nouée mais décidée. Ils souhaitent l’assurance du plus complet anonymat. Au premier contact, un murmure hésitant indique qu’il est impossible de parler pour le moment, qu’il faudra rappeler. Puis, plus tard : « Nous n’étions pas seuls. On ne peut parler à personne ici, car les autres patients répètent tout au personnel de l’hôpital. » Ces trois patients sont réunis autour d’un même téléphone.

À l’aide de propos cohérents, ils soutiennent qu’ils sont victimes de maltraitances. Le premier d’entre eux dénonce des aberrations de prise en charge : « On m’a mis aux Goélands pour des faits qui me sont reprochés mais dont je ne suis pas responsable. Malgré des analyses et des tests qui ont été effectués sur moi, et qui se sont révélés négatifs, on m’a gardé tout de même. » Le deuxième reproche au personnel des déclarations mensongères : « Ceux qui s’occupent de moi disent aux gens du foyer où je réside que je ne suis pas dans mon état normal, afin que je sois viré du foyer. » Le troisième, enfin, porte des accusations encore plus graves qui relèvent de la calomnie en ajoutant : « S’ils craignent pour leur sécurité, ils nous renvoient en hospitalisation complète au CHAM. »

Conditions de travail

Un responsable de la CFDT, le syndicat majoritaire de l’établissement, est formel : «Aucun incident particulier n’a été signalé dans cette structure récemment. » Il convient toutefois que le personnel de l’établissement peut être sous pression par rapport aux conditions de travail dans ce type d’hôpital. À une période, les Goélands accueillaient par exemple 28 personnes pour une capacité d’accueil de 20 places. « La prise en charge de huit patients supplémentaires en psychiatrie avec des effectifs identiques comporte énormément de risques, explique le syndicaliste. Le personnel, qui a toute notre confiance, nous fait parfois remonter certaines difficultés. Mais dans le cas présent je ne suis pas convaincu du rapport avec d’éventuelles maltraitances. » C. M.

Une procédure réglementée

La prise en charge des soins psychiatrique est très encadrée. Toute hospitalisation sans le consentement du patient se fait avec l’assentiment du juge des libertés et de la détention. Après quinze jours d’internement, ce juge examine le dossier du patient, qui dispose d’un avocat. Différents éléments médicaux doivent appuyer le maintien en hospitalisation complète.

Un psychiatre fournit également tous les mois à l’ARS (Agence régionale de santé) un certificat médical en forme de bilan pour justifier chaque dossier d’hospitalisation complète.

Concernant l’isolement, il se pratique uniquement dans les structures de soins sans consentement. « Il n’y a donc pas de chambre d’isolement aux Goélands », évoque le docteur Dupriez, comme pour répondre aux récriminations de trois patients des Goélands (lire ci-contre). Il poursuit : « Un placement en chambre d’isolement est très protocolaire. Il ne faut jamais qu’il soit punitif. À titre personnel, je suis très attaché au principe de liberté. Mais lorsqu’un patient est victime d’interprétations délirantes, l’isolement peut être bénéfique s’il apaise ces délires. »

Pour le moment, ce sont les griefs des trois patients mécontents qui semblent isolés, puisque la direction n’a recueilli aucune plainte. C. M.