mardi 6 mai 2014

Mieux comprendre la pensée du candidat au suicide

03/05/2014

« Selon l’Organisation mondiale de la santé, environ un million de personnes se suicident chaque année dans le monde » rappelle l’éditorialiste du Canadian Journal of Psychiatry, ce qui fait du suicide l’une des principales causes de mortalité (notamment chez les jeunes adultes). Dans certaines tranches d’âge, le suicide représente « la première cause de mortalité en Chine, en Suède, en Australie et en Nouvelle-Zélande ». Au Canada, on estime que plus de dix personnes se suicident chaque jour. L’épidémiologie du suicide révèle que les tentatives aboutissant réellement à la mort (suicides accomplis) sont « au moins trois fois plus fréquentes chez les hommes », comparativement aux femmes (équivalents dans l’enfance, ces taux commencent à différer dès la puberté). Et pour les deux sexes, l’apogée du nombre de suicides se situe, vers le milieu de la vie (entre 40 et 50 ans), concluant tragiquement la fameuse « crise du milieu de la vie[1]. » Si l’évolution du risque de suicide en fonction de l’âge suit globalement une courbe identique chez l’homme et chez la femme, on constate une différence, puisque les suicides vont en diminuant après 65 ans chez la femme, mais au contraire en augmentant chez l’homme, les octogénaires retrouvant un pic de mortalité par suicide identique (voire supérieur) à celui des quadragénaires. Certes, mis en perspective relativement aux diverses causes de mortalité intégrées pendant toute l’existence, le suicide semble tenir un rôle modeste : environ 2 % de tous les décès au Canada, contre 30 % pour les cancers et 32 % pour les maladies cardio-vasculaires. Mais de toutes les raisons de mourir (maladies, accidents, meurtres, conflits, catastrophes…), le suicide reste la seule cause qui pourrait être totalement évitée et la seule liée essentiellement à la volonté de l’intéressé.

Une question intéressante est posée par Erkki Isometsä (professeur de psychiatrie à l’Université d’Helsinki)[2], cité par l’auteur : « Comment expliquer que tous les sujets dépressifs ne se suicident pas ? » Dans l’esprit du psychiatre, cette incertitude sur la résilience ou l’effondrement plane toujours, « face à des patients qui souffrent profondément dans leur maladie dépressive et sont embourbés dans une situation immuable. » Pour le Pr. Isometsä, on peut admettre que les troubles de l’humeur, si graves soient-ils, ne suffisent pas toujours à expliquer toute la mécanique du comportement suicidaire : d’autres facteurs interviennent sans doute, « non seulement l’impulsivité ou l’agressivité » du sujet (retournées ici contre lui-même), mais aussi sa «vulnérabilité psychologique », découlant peut-être des aléas biographiques, en particulier dans l’enfance, et pouvant conduire (« éventuellement par le truchement de mécanismes épigénétiques ») à ce qu’on pourrait appeler des « cicatrices de développement » dans le « tissu » existentiel du sujet. Cette métaphore de la biographie assimilable à un tissu rappelle d’ailleurs un adage inscrit jadis sur les cadrans solaires pour inciter à respecter le temps, en rejetant notamment la procrastination : « Ne gaspillons pas le temps, car c’est l’étoffe dont est faite notre vie. » Pour mieux prévenir le suicide, l’auteur estime que nous devons encore accomplir de « grands progrès pour comprendre la façon de penser des candidats au suicide. »
Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCES
Sakinofsky I : To be or not to be. Can J Psychiatry, 2014 ; 59 : 118–119.

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