mardi 27 mai 2014

La démarche d’accompagnement du patient alcoolodépendant : avancer à son rythme

26/05/2014

Dans la pratique quotidienne, les raisons qui dissuadent le praticien à aborder avec son patient l’éventualité d’une problématique alcoolique ne manquent pas. Cette rencontre avec le médecin « de famille » reste pourtant une étape déterminante dans la prise de conscience du patient et sa démarche de demande de sevrage, sous réserve de rester à son écoute et d’avancer à son rythme.
Aborder une problématique liée à un mésusage d’alcool ou de toute autre substance reste difficile en pratique de ville pour de multiples raisons.

Le manque de temps et de formation des médecins, deux freins majeurs.

Le manque de temps et de disponibilité du médecin reste certainement un frein majeur. En addictologie, la relation de confiance qui doit s’établir entre le patient et son médecin est primordiale pour que le patient puisse parler librement de ses difficultés, mais cette relation de confiance nécessite du temps pour s’instaurer : « On attend souvent qu’il y ait un problème manifeste pour aborder le sujet, confie le DrGoninet il est souvent difficile d’aborder la question, quand on sait qu’elle risque de déboucher sur un échange nécessairement long et délicat, alors que la salle d’attente est pleine ! ».

En outre, le manque de formation de la plupart des médecins dans ce domaine ne facilite pas la prise en charge du problème. Les essais récents de sensibilisation à l’addictologie dispensés au sein des facultés sont insuffisants et surtout très théoriques, et le docteur Gonin regrette que les études médicales n’abordent pas d’avantage l’aspect humain de la relation médecin-patient ce qui conduit à une« déshumanisation » de la médecine aujourd’hui, « or l’aspect humain est fondamental en addictologie, créant la base de l’alliance thérapeutique, et on se trouve souvent extrêmement démuni », constate-t-il.

Un repérage difficile des patients

La demande de sevrage n’est que très rarement un motif de consultation en médecine générale. Si le problème d’une alcoolisation chronique peut être évoqué avec le patient devant la découverte d’unehépatomégalie ou d’anomalies biologiques évocatrices, le repérage des consommateurs abusifsasymptomatiques est beaucoup plus difficile. Il faut rester vigilant à l’environnement du patient, sa profession, son mode de vie, sa présentation, son attitude, son profil… de même qu’à un cortège d’autres symptômes souvent d’ordre psychosomatique tels que des douleurs chroniques, des palpitations, des troubles du sommeil, une asthénie, un état dépressif… qui peuvent cacher une problématique addictive, notamment alcoolique qu’il faut savoir alors rechercher.

Le malaise du médecin qui s’interroge sur ses propres comportements…

Le médecin peut également se sentir mal à l’aise pour aborder une problématique addictive qui peut l’interroger sur ses propres comportements…Difficile d’aborder en effet la question du sevrage tabagique quand on est soit même fumeur ou la problématique du sevrage de l’alcool quand soit même, on éprouve du plaisir à « boire comme tout le monde ».

Le problème de la confidentialité et de la gestion de l’entourage pour le médecin de famille

L’alcoolisation chronique d’un individu au sein d’une famille que l’on suit dans son ensemble pose la très délicate question de la confidentialité et de la gestion des retombées négatives de cette alcoolisation sur les autres membres de la famille, qu’il s’agisse du conjoint ou des enfants en priorité. La gestion d’une situation qu’on pourrait imaginer isolée fait souvent écho à une problématique systémique familiale ou professionnelle beaucoup plus complexe : « il arrive ainsi que la personne que l’on prend en charge et que l’on pense la plus défaillante et la plus problématique, ne le soit pas forcément, explique le docteurGoninOn peut être confronté à des jeux extrêmement pathologiques, le problème ne se situant pas nécessairement là où on le pense et n’émanant pas forcément de la personne addicte ».
Quant à la préservation du secret médical, il s’agit d’une question bien complexe dès lors que l’on constate des retombées néfastes sur le conjoint ou les enfants. La nécessité de mettre des mots sur des maux peut alors s’imposer et permettre parfois une prise de conscience et/ou une demande de prise en charge.

Accompagner le patient vers une demande de sevrage

S’il est indispensable pour le médecin de le rappeler, l’information sur les risques pour la santé de même que tous les arguments négatifs liés à l’abus d’alcool sont généralement peu pertinents et ont un faible impact sur les demandes de sevrage. « Devant une personne qui est dans le déni, il faut faire preuve de créativité et trouver le biais par lequel toucher ou accrocher l’individu, fait remarquer le docteur Gonin.Bien souvent, un discours plus positif sur les gains avec notamment le sentiment de liberté retrouvée est plus productif. » C’est là tout l’enjeu de l’entretien motivationnel. Il n’existe pas de recette miracle pour accompagner le patient vers une prise de conscience et il s’agit avant tout d’une question d’intuition. Rester à l’écoute du patient et avancer à son rythme : repérer une situation, pouvoir en discuter avec lui sans objectif particulier dans un premier temps, savoir où il en est dans son désir d’abstinence, préciser ses envies et ses demandes afin de travailler avec lui permettent d’établir une relation de confiance et d’établir une alliance thérapeutique indispensable à la progression de l’individu.
Certains outils mis à disposition en salle d’attente tels que des affiches, des échelles d’auto-d’évaluation ou des plaquettes s’inscrivent bien dans une démarche de sensibilisation et peuvent faciliter la parole ou l’échange sur le sujet.
Dr DOMINIQUE TRIVIAUX
D’après un entretien avec le Dr Guillaume Gonin, médecin généraliste-addictologue (Centre médical spécialisé Les Bruyères, Létra).

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