mardi 29 avril 2014

«Plus de maîtres que de classes», dispositif phare de la refondation contre l’échec scolaire

VÉRONIQUE SOULÉ
«L’atmosphère est tout de suite plus studieuse»

REPORTAGE L’école des Platanes d’Abbeville applique le «Plus de maîtres que de classes», dispositif phare de la refondation contre l’échec scolaire.

«Tu as écrit "chevale". As-tu vraiment besoin de faire chanter le "l" avec un "e" ?» Courbé derrière l’élève, Christophe Tixier désigne du doigt le mot mal orthographié. Pierre efface vite la lettre incongrue. Le professeur tourne autour de la table installée au fond de la classe, où cinq élèves de CP planchent sur des exercices de français. «Tu es sûr que le "r" monte jusqu’au deuxième interligne ?» demande-t-il à Enzo du même ton patient. «Là, tu vois une niche : comment vas-tu écrire le son "ch" ?» enchaîne-t-il à l’adresse de Mathieu, perplexe devant sa feuille, crayon dans la bouche.

Pendant que Christophe Tixier s’occupe de ses élèves, l’enseignante de la classe de CP, Caroline Paroïelle, 30 ans, continue son cours comme si de rien n’était : «Nous allons faire une dictée, mais attention, il y a des pièges et, cette fois, je ne vous les dirai pas.» Plusieurs poussent de gros soupirs. La prof commence lentement à dicter : «Le peintre a mis de la peinture…»Elle poursuit très distinctement en passant entre les bureaux : «…de la peinture blanche et jaune.»


«Encodage». Chaque matin, deux enseignants cohabitent ainsi dans la classe de CP de la petite école des Platanes d’Abbeville, dans la Somme. Dans le cadre du dispositif baptisé «Plus de maîtres que de classes», à côté de l’enseignante attitrée, Christophe Tixier, qui n’a pas de classe à charge, prend en soutien les élèves les plus en difficulté pour une séance de trois quarts d’heure. Il intervient deux fois par jour en CP. «Le matin, je fais travailler "l’encodage", c’est-à-dire la capacité à déchiffrer et à former des mots, explique-t-il. L’après-midi, je passe à la lecture. Comme il faut parler, nous allons en bibliothèque pour ne pas déranger la classe.» Dans le cadre de la refondation de l’école, François Hollande a donné la priorité au primaire, notamment avec ce dispositif phare, le Plus de maîtres que de classes, lancé à la rentrée.

L’idée est que l’échec scolaire se joue très tôt, dès l’élémentaire, et il touche davantage les enfants de milieux défavorisés. Pour lutter contre l’échec et les inégalités, un maître surnuméraire va être nommé dans les écoles en difficulté, généralement situées en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Il devra se concentrer sur les élèves fragiles, renforcer leurs bases en français et en calcul, leur redonner confiance… L’objectif est aussi de faire évoluer la pédagogie, d’encourager l’innovation et le travail d’équipe.

Stratagèmes. Pour sa première année, le dispositif a été mis en place dans 1 400 écoles - 20 dans la Somme. Au terme du quinquennat, l’ex-ministre de l’Education Vincent Peillon avait envisagé d’y allouer 700 postes. Mais devant la poussée démographique plus forte que prévue en primaire, les syndicats enseignants s’inquiètent, voire doutent. «Il faudra d’abord créer des postes pour faire face au nombre d’enfants supplémentaires», estiment-ils. Dans la Somme, sont prévus à la rentrée prochaine quatre postes de plus pour l’opération Plus de maîtres que de classes. L’école des Platanes, un bâtiment crème entouré de pelouse, est située en zone urbaine sensible (ZUS), au milieu d’un petit quartier HLM dont les immeubles de trois étages ont été récemment repeints. Mais elle n’est pas classée ZEP. «Nous répondons pourtant aux critères», estime le directeur, Nicolas Trohel, 38 ans, par ailleurs instituteur en CM1-CM2. La plupart des familles ont des revenus modestes et le chômage est important. Les enfants sont souvent plusieurs dans une chambre, d’autres s’endorment devant la télé… Ils sortent peu du quartier, même pour le festival annuel de l’Oiseau qui se déroule ces jours-ci dans la ville.

Les résultats scolaires de l’école des Platanes sont inférieurs à la moyenne nationale. Du coup, les familles qui le peuvent évitent d’y mettre leurs enfants, usant de stratagèmes pour les inscrire dans un établissement plus réputé ou se repliant sur le privé. En quelques années, l’école, qui comptait six classes, en a perdu deux et n’accueille plus que 87 élèves - en CP, CE1, CE2-CM1 et CM1-CM2. Les salles du rez-de-chaussée restent donc fermées la journée, volets clos. Elles ne sont plus utilisées que pour les activités de fin d’après-midi - les écoles d’Abbeville sont passées aux quatre jours et demi en septembre - et pour le centre aéré du mercredi.

L’équipe n’a dès lors pas hésité lorsqu’elle s’est vu proposer ce nouveau dispositif. Et Christophe Tixier a été accueilli à bras ouverts. Volontaire pour le poste, cet enseignant expérimenté de 40 ans avait envie de s’investir. «J’ai fait beaucoup de CP et de Clis [classes pour l’inclusion scolaire, destinées aux enfants handicapés, ndlr], explique-t-il. Je me sentais assez bien armé.»

Ce vendredi, il a commencé sa matinée avec quatre CM1 faibles en français, dans la bibliothèque du premier étage. Il les prend deux fois par semaine pour leur faire travailler les textes narratifs. Théo et Laurine ont lu une histoire tandis que leurs deux camarades, Adrien et Flavie, en lisaient une autre. Ils doivent maintenant la raconter le plus clairement possible et dans les détails…

«C’est un monsieur, Paul Aldron, qui est chauffeur de camions et qui est amateur de billard, commence Laurine. - Il a dit qu’il était malade à son patron pour assister à son sport favori, pour les championnats de billard à la télévision, complète Théo, et le lendemain, il a récupéré son travail. - Pourquoi il avait perdu son travail ? interrompt le professeur. Soyez précis. - Il est retourné à son travail», corrige Laurine.

La suite est un peu confuse. On comprend que Paul Aldron a été licencié. Mais pourquoi ? «Il a été mis à la porte parce qu’il jouait au billard», tente Flavie d’une voix hésitante. «Dix millions de personnes regardent les championnats à la télé, peut-être que son patron l’a reconnu et qu’il a été invité à la télé», intervient Théo.

«Palette». Pendant près d’une heure, Christophe Tixier encourage les élèves à s’exprimer et à échanger. Il reprend des tournures, corrige la syntaxe, leur apprend des mots… «Le principal problème est le manque de vocabulaire, explique-t-il. Ils possèdent un lexique de base, mais ils n’ont pas toute la palette lexicale. Il leur manque parfois des mots pour exprimer des émotions.»

«Ardoises». En fin de matinée, il enchaîne en maths avec des CE1. Cette fois, il fait de la «co-intervention» avec l’enseignante. Au programme, du calcul raisonné. «Quel est le double de 12 ?» commence l’institutrice Elise Bourdon, 24 ans. Pendant que les élèves travaillent, Christophe Tixier circule entre les bureaux, en aide certains avec un œil sur les élèves qu’il a déjà repérés comme en difficulté. «Ne levez pas vos ardoises tout de suite, lance l’institutrice, il faut laisser la chance aux autres de trouver, tout le monde ne va pas à la même allure.» Une évaluation sera faite à la fin de l’année. Puis un bilan plus approfondi sera tiré au bout de trois ans. A l’école des Platanes, l’équipe se dit déjà satisfaite. «L’intérêt d’être à deux en classe est que les élèves sont plus sollicités. L’atmosphère est tout de suite plus studieuse», explique Elise Bourdon. «Cela permet de consacrer plus de temps aux élèves moyens, souligne Caroline Paroïelle, car on les oublie un peu quand on s’occupe des plus faibles.»


«Pour que ça marche, estime Christophe Tixier, il est indispensable que l’équipe s’entende bien.» Il est interrompu par une collègue qui a apporté des gâteaux et propose de les goûter pendant la récré. Personne ne refuse.


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