vendredi 18 avril 2014

Derrière le « point du mari », le traumatisme de l'épisiotomie

Le Monde.fr 
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Des médecins qui décident de vous refaire un « vagin de jeune fille » à peine sortie de l'accouchement ? Ce sont les bruits qui circulent sur la Toile depuis quelques semaines.
Ce n'est pas la première fois que des femmes dénoncent ce « point du mari » ; un geste clandestin qui consiste à recoudre une épisiotomie (incise faite lorsque l'enfant risque de déchirer le périnée de sa mère) par quelques points de suture supplémentaires, supposé accroître le plaisir de l'homme lors des rapports sexuels. Un acte d'autant plus illégitime qu'il est infondé ; la sexualité d'un couple ne peut être réduite à la simple question de la taille d'entrée d'un vagin.
Lorsque la féministe française Isabelle Alonso évoque sur son blog ce sujet tabou, habituellement cantonné aux forums de jeunes mamans, les articles se multiplient, les commentaires foisonnent. Alors que certains dénoncent une « horreur », une« abomination », une « mutilation » qui donne envie de« vomir », chez d'autres, le doute persiste : le « point du mari », légende urbaine ou réelle pratique ?

UNE INVENTION DES FEMMES ?
Pour Jean Marty, président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (Syngof), le « point du mari », c'est surtout « dans la tête des femmes » que cela se passe. « Vous avez des femmes qui ont été victimes, incontestablement », reconnaît-il. « La chirurgie est du domaine de l'art, on peut penser que certains médecins ont eu l'idée qu'en modifiant un peu leur façon de suturer, ils amélioreraient un peu la sexualité, et ça, ça ne nous choque pas », tente-t-il d'expliquer, soulignant néanmoins le caractère anecdotique, voire fantasmatique de cette pratique.
« On est dans l'absurde, le fantasme, c'est un sujet qui réveille l'excitation », et dont il ne faudrait pas trop parler – conseil d'accoucheur expérimenté – pour ne pas provoquer un peu plus la somatisation vaginale, ou l'expression physique d'un problème psychique, selon lui très fréquente chez les femmes. « Vous avez aussi des femmes qui sont bien dans la victimologie, qui se retrouvent dans une forme de souffrance parce qu'elles arrivent à susciter l'intérêt », estime-t-il.
Une théorie qu'il a étayée pendant ses études, en écrivant sa thèse sur la qualité des relations sexuelles après une intervention chirurgicale dans la zone périnéale. Selon ses recherches, le plus souvent, les douleurs ne viennent pas d'un problème anatomique – la flexibilité du vagin s'adapte au fur et à mesure de la reprise des relations sexuelles – mais sont liées à l'acceptation psychologique de sa vie sexuelle. Une sexualité épanouie, ce« n'est pas un cadeau que la nature donne à tout le monde », conclut-il, citant une vieille chanson de Georges Brassens, La Femme s'emmerde en baisant.
L'ÉPISIOTOMIE, UN GESTE BANALISÉ
Un problème qui prend ses origines dans l'imaginaire des femmes ? Chantal Ducroux-Schouwey, 55 ans, représente les intérêts des patientes comme présidente du collectif associatif autour de la naissance (Ciane). Petite-fille de deux grands-parents médecins-accoucheurs, elle affirme qu'à l'époque déjà, son grand-père parlait du « point du mari ».
Mais pour elle, le problème est plus profond et lié au recours trop fréquent à l'épisiotomie. « On a récolté de très nombreux témoignages qui montrent que c'est quelque chose d'extrêmement mal vécu par les femmes, parfois comme un viol, affirme-t-elle.Et puis il peut y avoir tout un tas de choses qui viennent se greffer sur une épisiotomie – des abcès, des points qui lâchent, c'est quand même une cicatrice qu'elle va porter toute sa vie. »
Jusqu'au début des années 1990, l'épisiotomie, alors très en vogue, est utilisée plus de sept fois sur dix chez les femmes qui attendent leur premier enfant. C'est ce qui pousse le Ciane dans les années 2000 à faire pression sur le gouvernement pour que cette « culture de l'épisiotomie » soit revisitée. Appuyé par quelques syndicats de gynécologues, il obtient en 2005, à la suite d'une analyse approfondie de la littérature scientifique, que le taux moyen d'épisiotomie recommandé soit réduit à moins de 30 %. « Ce n'est pas idéal, mais on partait de tellement loin qu'on s'est dit que c'était un bon début », se rappelle Chantal Ducroux-Schouwey, elle-même mère de cinq enfants.
Pour elle, le lien entre « point du mari » et épisiotomie est évident. « Qui dit épisiotomie dit qu'il faut recoudre, et on peut recoudre comme il faut, ou on peut recoudre mal, ou avec ce "point du mari" qui est ancré dans certaines têtes de soignants, qui peut-être veulent bien faire... », reconnaît-elle.
LA SEXUALITÉ, UN SUJET TABOU CHEZ LES MÈRES
Frédérique M. est l'une d'entre elles. L'une de ces femmes qui, quand elle est sortie de l'hôpital, son troisième enfant dans les bras et quatorze points de suture entre les jambes, n'a pas songé une seconde à se plaindre de douleurs. Frédérique a eu trois accouchements, et trois épisiotomies. Pas de « point du mari » pour elle, mais une expérience pas moins traumatisante.
« D'abord, il y a ce manque de communication total. Je me souviens d'un changement d'atmosphère dans la salle d'accouchement, puis des bruits métalliques », se rappelle-t-elle, aujourd'hui à la tête d'un institut médical de la banlieue parisienne qui aborde notamment les violences faites aux femmes. « C'est mon mari qui m'a prévenue : "ils ont pris les ciseaux". » Elle sait qu'elle n'aurait peut-être pas eu son mot à dire, le choix du recours à l'épisiotomie est une décision qui appartient au corps médical, mais elle aurait aimé être prévenue.« C'est la moindre des choses quand même », lance-t-elle, des années plus tard. Aujourd'hui encore, selon une étude du Ciane, dans 85 % des épisiotomies, il n'y a pas de consultation préalable avec la femme.
« Quand la mère sort de l'hôpital, elle est tellement concentrée sur l'enfant qu'elle ne pense pas à ces problèmes de fond. » Puis il y a la prise de conscience, le manque d'accompagnement après la sortie de la maternité. Lors de son premier rendez-vous post-opératoire chez sa gynécologue, Frédérique tente de partager ses inquiétudes après les complications causées par l'épisiotomie, et comment celles-ci pourraient influencer sa vie sexuelle. Pour simple réponse : « Ne vous inquiétez pas, ça se remettra comme ça se remettra. »
UNE PROFESSION SOUS TENSION
Chez les gynécologues, le « point du mari » est un débat qui dérange. Pour Pierre Foldes, chirurgien spécialisé dans la reconstruction de l'hymen, « le périnée est un fusible de l'ensemble d'une pratique qui a dévié ». Budgets diminués, surconsultation, baisse du nombre de praticiens... Dans la salle d'accouchement, le personnel médical peut se sentir sous pression.
En vingt-cinq ans de métier, il n'avait jamais entendu parler de cette expression, le « point du mari ». Mais des séquelles douloureuses d'épisiotomie ratée, en revanche, il en voit souvent.« L'épisiotomie n'est pas une priorité de santé publique », elle est parfois laissée aux mains des internes de l'hôpital, de sages-femmes encore inexpérimentées, ou de gynécologues qui ne se soucient pas de la vie des femmes une fois sorties de la salle d'accouchement, regrette le chirurgien.

La peur du « point du mari », donc, serait aussi la conséquence d'un travail extrêmement délicat totalement banalisé, parfois bâclé, et du manque de suivi des patientes les plus fragiles. « Une bonne épisiotomie, ce n'est pas compliqué, rassure-t-il, mais il faut du temps, et du respect. »

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