vendredi 25 avril 2014

Au Royaume-Uni, des méthodes brutales pour remettre au travail les handicapés

LE MONDE | Par 
Manifestation de handicapés contre Atos, en octobre 2011, à Londres.
Jayne Linney appelle ça « le syndrome de l'enveloppe marron ». Sévèrement handicapée après deux accidents de voiture, cette femme de 52 ans, rencontrée mi-avril, vit avec la peur de recevoir dans sa boîte aux lettres une convocation à une visite médicale pour évaluer son invalidité. « A chaque fois que j'entends le postier, j'ai une boule dans l'estomac. »
Sa crainte fait suite à l'expérience traumatisante qu'elle a vécue lors de ses dernières évaluations. En 2010, Jayne avait cessé de travailler, à contrecœur, mais sur ordre de son médecin. Les séquelles de ses accidents s'aggravaient, et, outre de sérieuses difficultés à marcher et un bras gauche partiellement paralysé, elle souffrait d'incontinence et de fibromyalgie, une maladie qui provoque des douleurs aiguës dans tout le corps.

« L'INFIRMIÈRE M'A HURLÉ DESSUS »
En 2012, elle a été convoquée à un examen médical par l'entreprise française Atos, qui réalise l'évaluation des handicaps pour le compte du gouvernement britannique. « Rien ne m'avait préparée à faire face à quelqu'un d'aussi ouvertement hostile. Un des exercices était de se mettre sur la pointe des pieds. J'en suis incapable, mais l'infirmière m'a hurlé dessus, m'accusant de ne pas faire d'efforts. » Résultat du test : zéro point, alors qu'il en faut quinze pour avoir droit à l'allocation handicapés. Jayne risquait de perdre sa seule source de revenu et elle a saisi la justice. Un tribunal lui a donné raison dix-huit mois plus tard. « Le juge a regardé mon dossier et m'a immédiatement interrogée sur mon incontinence, qui est un critère simple à évaluer. En trois minutes, il avait tranché en ma faveur. »
Ce n'était pourtant qu'un début. Deux mois après sa victoire judiciaire, Jayne a été convoquée pour un nouvel examen médical. Au total, elle a été testée à cinq reprises en trois ans par Atos. A une exception près, l'expérience a toujours été extrêmement désagréable. Si elle a finalement obtenu satisfaction, il lui a fallu se battre contre un système qu'elle juge organisé contre les handicapés.
Ce système a été mis au point par le gouvernement britannique, qui veut faire des économies en poussant les handicapés qui le peuvent à retourner travailler. Si l'objectif est sans doute louable, la méthode pour y parvenir est dénoncée : les tests sont rigides et des milliers de cas erronés ont été documentés.
UN HOMME DANS LE COMA JUGÉ APTE AU TRAVAIL
Parmi les personnes jugées aptes au travail se trouvaient un homme dans le coma, des personnes qui sont mortes peu après, d'autres encore qui étaient incapables de marcher plus de quelques dizaines de mètres sans reprendre leur souffle… Près de 40 % des personnes qui ont fait appel de la décision ont gagné face aux tribunaux.
Si la décision finale sur l'attribution des allocations sociales revient au gouvernement, les examens médicaux sont sous-traités à Atos, une entreprise dirigée par Thierry Breton, l'ancien ministre de l'économie.
Depuis, celle-ci est au cœur du scandale, accusée d'incompétence et d'insensibilité. Le 27 mars, elle a annoncé qu'elle renonçait au contrat, signé en 2005 et qui devait arriver à terme en août 2015. L'entreprise dit s'arrêter de son plein gré. Elle veut mettre un terme aux nombreuses insultes et menaces que reçoivent ses employés. Mais, surtout, l'entreprise française se retire afin de stopper l'hémorragie financière.
ATOS DIT N'AVOIR RÉALISÉ AUCUN PROFIT
Il y a deux ans, alors que le scandale commençait à prendre de l'ampleur, une évaluation écrite du handicap à remplir par le personnel médical a été ajoutée au test, qui ne comportait auparavant que des cases à cocher. Cela a apporté de la nuance dans l'appréciation du patient, mais cela a augmenté d'un tiers la durée du traitement de chaque dossier. Pour Atos, la rentabilité a chuté, passant dans le rouge.
« In fine, sur l'ensemble du contrat, depuis 2005, nous n'aurons réalisé aucun profit », explique Michel-Alain Proch, directeur financier d'Atos. Entre un contrat à perte et une image publique ternie, l'entreprise française a voulu couper court à la catastrophe.
« SI VOUS N'ÊTES PAS DANS UNE CHAISE ROULANTE... »
« Je ne crois pas qu'une seule personne handicapée sera triste de savoir qu'Atos ne gère plus ces évaluations », estime Richard Hawkes, directeur de Scope, une association d'aide aux handicapés. Il estime cependant que le départ de l'entreprise risque de ne pas changer grand-chose. Atos se contente d'appliquer les examens médicaux mis au point par le gouvernement britannique. Le questionnaire, peu flexible, a tendance à ne prendre en compte que les handicaps évidents, mettant en doute les symptômes moins visibles. « Si vous n'êtes pas dans une chaise roulante, on ne vous croit pas », témoigne Nicky Linney, la fille de Jayne, qui souffre également de fibromyalgie.
Mais les deux femmes estiment aussi qu'Atos n'a fait aucun effort pour rendre le processus supportable. Ensemble, elles ont créé une petite association pour soutenir les handicapés pendant leur évaluation médicale. Avec deux mots d'ordre : ne jamais se rendre seul aux tests, et toujours exiger leur enregistrement.

C'est ainsi que Kitt Boulton, atteinte d'encéphalopathie myalgique (fatigue chronique), a été accompagnée. « Pendant des années, j'ai été terrorisée à l'idée d'être convoquée pour ces examens. Quand j'ai reçu la lettre en novembre 2012, j'ai été prise de panique. » Elle a obtenu gain de cause, mais après une période extrêmement pénible. « Les règles ont été mises en place par le gouvernement, et c'est lui le principal responsable de la situation actuelle », estime-t-elle.

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