samedi 1 mars 2014

Vivement une vraie politique de l'enfance !

LE MONDE | Par 
Une nouvelle fois le souhait de certains – ou de ceux qui parlent en leur nom – d'être parents à tout prix phagocyte le débat au point de paralyser toutes les évolutions qui s'imposent de longue date dans le droit de la famille. Il serait temps de retrouver le sens des priorités.
On a déjà connu cette pression de la part des candidats à l'adoption qui aspiraient à satisfaire leur désir d'enfants. Ils ne comprenaient pas ou difficilement que l'Aide sociale à l'enfance ne leur « fournisse » pas en nombre et en « qualité » les enfants qu'ils entendaient accueillir. Encore aujourd'hui cette difficulté existe. Quelque 15 000 demandes d'adoption sont enregistrées dans les conseils généraux. En couple ou célibataires, ces personnes souhaitent généralement accueillir un enfant de 3 mois, de type européen, en bonne santé. Or les pupilles de l'Etat – les enfants sans famille adoptables – ne sont aujourd'hui, et on s'en réjouit, que quelque 2 300, contre 40 000 en 1960 et 20 000 en 1980, ils sont plutôt âgés – 7 à 9 ans –, souvent de couleur, parfois porteurs de handicaps et en fratrie. Le déphasage est réel.
Et les candidats à l'adoption déçus de se tourner vers l'adoption transnationale où d'autres difficultés se présentent. Les mêmes en arrivent à fonder leurs espoirs sur la procréation médicalement assistée (PMA) ou la gestation pour autrui (GPA). Il n'est pas question, aujourd'hui pas plus qu'hier, de nier la souffrance de ceux qui ne peuvent pas être parents. Mais cette revendication de l'enfant doit s'inscrire dans une problématique sociale collective. Sous la pression et le pilonnage de cette revendication qui ne concerne que relativement peu de personnes, on laisse de côté les questionnements qui sont massivement devant nous.

Ainsi 1,5 million d'enfants vivent avec des adultes qui ne sont pas leurs géniteurs. Ce sont donc quelque 3 millions à 5 millions d'adultes qui s'inscrivent dans l'univers de la famille recomposée. Les adultes doivent savoir quelles sont leurs responsabilités, mais les enfants aussi doivent savoir quelle autorité respecter, il faut clarifier les termes modernes de la responsabilité parentale qui aujourd'hui est partagée.
Depuis quinze ans, l'adaptation de notre droit sur ce point est paralysée par la crainte de reconnaître l'homoparentalité et aujourd'hui encore par les exocets adressés sur le projet de loi famille. Exit donc la loi famille qui entendait aborder, entre autres, la seule question qui vaille : la coresponsabilité. Plus que jamais, il est urgent de voter une disposition législative qui consacre les responsabilités des tiers à l'égard d'enfants qu'ils élèvent sans pour autant déposséder les parents biologiques et juridiques.
Escamoté aussi le souci de répondre à tant de parents qui ne savent plus ce qu'ils sont légitimes à faire quand trop confondent autorité et violence et se sentent dépossédés quand on leur avance qu'on peut éduquer un enfant sans le battre. Doit-on rester l'un des derniers pays d'Europe à ne pas condamner les châtiments corporels ? Disparu le débat sur les atteintes à l'intégrité physique de l'enfant non justifiées par des maisons médicales (excision, circoncision, etc.), lancé par le Conseil de l'Europe.
ÊTRE MIEUX ENTENDUS EN JUSTICE
Bien d'autres problématiques sont aujourd'hui paralysées, comme l'accès des enfants à la connaissance de leur origine, y compris dans les cas d'adoption plénière, la reconnaissance des différentes affiliations de l'enfant, le droit des enfants de pouvoir faire la preuve de leur identité par l'octroi d'une carte d'identité, le droit d'être majeur avant l'âge en demandant leur émancipation, de saisir le juge aux affaires familiales en cas de conflit parental, etc. Tout simplement d'être mieux entendus en justice et de se faire rendre justice quand ils sont victimes. Que dire du statut des jeunes majeurs qui est à reconstruire ?
A la trappe l'idée de permettre aux enfants d'exercer personnellement leurs droits – la capacité juridique de l'enfant, notamment à partir de 13 ans –, avec le souci de mieux les responsabiliser quand, dans le même temps, on n'hésite pas à les condamner, y compris comme des adultes, à partir de 16 ans.
On ne parle plus d'aborder les questions majeures de la liberté de religion, de réunion et d'association et, d'une manière générale, de l'engagement citoyen qui demain doit gager une meilleure démocratie.
Plus largement, le nez collé à cette préoccupation majeure pour une minorité que sont la PMA et la GPA, personne ne se préoccupe des politiques publiques en direction des familles et de l'enfance. Ainsi la France est absente de la démarche qui conduit à ouvrir aux enfants des recours internationaux contre la violation de leurs droits en refusant de ratifier le troisième protocole additionnel à la Convention internationale des droits de l'homme. Où est le ministère de l'enfance souhaité par le réseau associatif et le code de l'enfance annoncé par la ministre de la justice ?
Ce débat centré sur le nombril de certains en quête de maternité ou de paternité nous aura globalement coûté cher. Il est temps de se reprendre. Et déjà, de la part des politiques, de laisser de côté les enjeux politiciens pour garder à soi un certain électorat ou pour combattre le gouvernement en place.
Il faut savoir hiérarchiser les urgences. La reconnaissance de l'homoparentalité doit progresser – on peut être homosexuel et bon parent –, mais les enjeux majeurs du moment sont ailleurs : la condition familiale, la prise en compte de l'enfant sujet de droit avec en arrière-fond les équilibres démographiques, les termes de la citoyenneté, nos engagements internationaux, etc. Il ne suffira pas de mettre ces rappels sur le compte de l'homophobie pour contester ces réalités.


Jean-Pierre Rosenczveig est le Président du groupe de réflexion De nouveaux droits pour les enfants, instauré en octobre 2013 par Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la famille.

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