jeudi 20 mars 2014

L’excision, ça se répare, leçon pour toutes les femmes victimes de violences

22/03/2014

Paris, le samedi 22 mars 2014 – Pas une journée mondiale dédiée à la lutte contre l’excision ne se déroule sans que soit rappelé l’apport majeur de l’action du docteur Pierre Foldes en la matière. Ce praticien français a en effet mis au point il y a près de trente ans une technique de chirurgie réparatrice qui a offert à des milliers de femmes dans le monde la possibilité de recouvrer un clitoris et au-delà de se réapproprier leur corps et leur sexualité. Evoquant ici avec Frédérique Martz, responsable d’un groupe de parole dédiée à l’excision au sein de l’Institut en santé Génésique de Saint Germain en Laye, sa découverte des femmes excisées en Haute-Volta et la prise en charge qu’il a fortement contribué à mettre en place, le docteur Pierre Foldes révèle que son soutien sans faille à ces victimes a nourri en lui le désir de venir en aide à toutes les femmes martyrisées. C’est le message qu’il entend délivrer ici avec force, insistant sur les leçons universelles tirées de la prise en charge des victimes d’excision.
Par le Docteur Pierre Foldes et Frédérique Martz

C’est au Burkina-Faso, encore Haute Volta dans les années 80, que la réalité des mutilations sexuelles féminines a fini par m'apparaître. La confrontation avec cette pathologie s’est faite par le biais de missions de chirurgie humanitaire consacrées aux fistules obstétricales. Puis est venue l’accroche entre le thérapeute encore aveugle que j’étais et une pathologie d’origine humaine vieille de 27 siècles. Les premières demandes étaient liées à la douleur et aux dangers obstétricaux. La réponse a nécessité de redécouvrir l’organe, son anatomie, sa physiologie et la physiopathologie de la mutilation. La révélation fut la libération brutale et magnifique de la parole des femmes, disant enfin l’étendue de la souffrance et de la frustration. La technique s’est affinée, a dû prendre en compte les atteintes collatérales des petites lèvres et du périnée, pour aboutir, loin d’une simple reconstruction du clitoris, à une restauration d’une anatomie vulvaire complète.

Restauration d’un massif clitoridien dans 85 % des cas

La libération de la parole et l’arbre à palabre ont développé la demande et m’ont permis depuis de voir plus de 15 000 victimes en consultation, d’en opérer près de 5 000 avec actuellement une cinquantaine d’actes mensuels. Les étapes marquantes ont été la reconnaissance de la pathologie par l’assurance maladie, puis l’obtention de la couverture de la chirurgie réparatrice par l’assurance maladie en 2006. La technique s’est standardisée et est devenue reproductible, avec une morbidité très faible. Les résultats, dont 3000 ont été publiés dans un article du Lancet en 2012, montrent une restauration d’un massif clitoridien dans 85 % des cas, une très bonne efficacité sur la douleur, et des résultats fonctionnels satisfaisants dans près de 75 % des cas à six mois.

Une femme consultant sur deux choisit de se faire opérer

Le protocole de prise en charge des femmes consultant pour mutilation sexuelle féminine, comprend une évaluation psycho-sexologique préalable, une information qui aboutit à une prise de décision, vers une chirurgie réparatrice dans environ un cas sur deux dans mon propre recrutement. Le suivi post opératoire est complété par un accompagnement psychologique, post traumatique ou sexologique selon les besoins. La reconstruction de la sexualité peut se faire simplement, mais aussi nécessiter une longue rééducation et reposer sur une équipe multidisciplinaire.

Le rôle clé de l’intervention de la médecine dans la lutte contre l’excision et la libération de la parole des femmes

Dans cette histoire,  il convient de mettre en avant deux évènements.
Le premier est l’irruption si tardive de la médecine dans un débat jusqu’alors  réservé aux experts des traditions et aux philosophes compétents en civilisations. Le combat, si fondamental contre toute forme de mutilations, avait manqué de bases directes et d’ancrage scientifique. L’accession des victimes à un dialogue singulier et à un cabinet médical de consultation allait changer la donne. C’est de la bouche même des femmes mutilées qu’allait s’imposer enfin l’épouvantable étendue des conséquences de cet acte criminel. Ce sont elles qui ont enfin confirmé l’atteinte globale faite à la femme, à son intégrité, son image, ses relations, sa psyché, son couple, sa vie. Ce cri entendu des milliers de fois depuis est la base de notre "militance". Elle est la vraie réponse aux lobbys de l’excision et à ses défenseurs machistes. Ne cessons jamais de les écouter.

Des femmes excisées à toutes les femmes victimes de violence

Le deuxième fait majeur est le message universel que les femmes victimes de mutilations sexuelles féminines lancent au monde des femmes victimes de violences en général. Elles sont un résumé et un raccourci symbolique de ce monde gigantesque. Comme une femme violée, mariée de force, violentée dans son couple, ayant subi l’inceste, ou encore harcelée au travail ou dans la rue, elle dit toujours la même chose : «Cela, je ne l’ai pas voulu ».
Cette simple phrase est le reflet et le résumé de tous ces crimes, et de la litanie infernale de ses conséquences : la privation de la parole, la douleur, la culpabilisation, la dévalorisation, la marginalisation, la stigmatisation, l’isolement, la précarité, la crainte, l’atteinte morale et toute une suite tellement connue si on veut bien entendre. Voilà le maître mot : entendre, concept apparemment si éloigné de la condition masculine. La rupture du silence. Voilà la porte, voilà le sas, voilà la clé d’accès à toute action de soin, de réparation, ou tout simplement de reconnaissance. Les groupes de parole, outil essentiel de la reconstruction que nous avons mis en place pour les femmes opérées, ont révélé la puissance du message de ces femmes. Il est vite apparu, au plus de la "militance", que ce discours révélé constituait une source exceptionnelle d’espoir pour l’ensemble des femmes. D’autres victimes, d’autres femmes théoriquement très éloignées dans leur parcours se sont mise à entendre parler de remise en marche, de libération, d’accompagnement, de main tendue.

Le cercle de la femme retrouvée

Il s’est vite imposé une sorte d’évidence. Il faut être une femme pour délivrer à d’autres femmes certains messages, les hommes, si bienveillants qu’ils soient pour certains, ne pourront jamais porter certaines paroles, certaines émotions. Ce cercle de la femme retrouvée intervient alors à un moment crucial. C’est ce que nous tentons de recréer ou de préserver dans certaines initiatives novatrices pour venir en aide aux femmes victimes de toutes formes de violences. C’est le cas de L’Institut en santé Génésique qui a ouvert le 6 janvier à Saint-Germain-en-Laye. Dans ce cadre, les femmes victimes de toutes formes de violences sont accueillies, écoutées et prise en charge. Une équipe complète de professionnels volontaires, infirmières, assistantes sociales, juristes, psychologues et médecins, vont leur prendre la main et les accompagner dans la résolution de leurs problèmes.
De l’excision à toutes ces victimes, même demande, être reconnue comme personne.
Et réintégrer le genre humain dans la dignité.

Les intertitres sont de la rédaction

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