jeudi 23 janvier 2014

Autistes et spectateurs dans le même bateau

LE MONDE | Par 
"Nous", pièce chorégraphiée par Anatoli Vlassov pour neuf hommes autistes âgés de 27 à 40 ans.
"Nous", pièce chorégraphiée par Anatoli Vlassov pour neuf hommes autistes âgés de 27 à 40 ans. | ANATOLI VLASSOV
Ils sont déjà là. Ils attendent. Ils entourent le public qui s'installe en cercle au centre du plateau. Ils le regardent tranquillement. Ce dispositif spectaculaire inversé – qui est venu voir qui ? – fait deNous, pièce chorégraphiée par Anatoli Vlassov pour neuf hommes autistes âgés de 27 à 40 ans, une rencontre inhabituelle, inconfortable et belle.
Nous porte bien son titre. Nous sommes tous dans le même bateau, partageant l'espace, croisant le regard et assumant peu ou prou notre différence. Ici, les émotions des uns et des autres se lisent vite et sans garde-fou. Nous, interprété par ces neuf « handicapés, atypiques, pour changer peut-être l'opinion que certains ont sur l'autisme », comme l'assène Otto N'yap, l'un des danseurs, est un spectacle où la question de l'autre est cruciale.
Travailler avec des autistes est un défi que des chorégraphes relèvent. En 2008, Thierry Niang et l'écrivain Marie Desplechin imaginaient Au bois dormant. En 1996, Mathilde Monnier concevait L'Atelier en pièces à partir d'ateliers menés à l'hôpital de la Colombière, à Montpellier, puis le film Bruit blanc, réalisé avec Valérie Urréa, dans lequel elle danse avec une femme autiste, Marie-France Canaguier.

Anatoli Vlassov, qui a découvert la danse à travers l'improvisation et le travail de l'Américain Steve Paxton, mobilise son énergie dans des productions détonnantes. Depuis 2003, celui qui s'intéresse aux « démunis, dévalués, censurés » a élaboré des performances avec des éboueurs en France, des conducteurs de chasse-neige au Canada, des cireurs de chaussures en Bolivie.Nous résulte d'un atelier qu'il pilote depuis six ans avec les neuf hommes du spectacle dans le cadre de l'association Turbulences(Etablissement et service d'aide par le travail), destiné aux personnes handicapées, dans le 17e arrondissement, à Paris.
UNE MÉTHODE FONDÉE SUR L'ÉCOUTE ET L'OBSERVATION
Anatoli Vlassov a élaboré une méthode fondée sur l'écoute et l'observation. « Je pars de leurs propositions avant tout, souligne le chorégraphe. C'est leur différence qui impulse mon travail. Cela fait de l'atelier un espace de liberté et de confiance extrême, même s'il est évidemment très cadré. » Nombre d'a priori volent en éclats. « On dit souvent que les autistes ne se touchent pas, ce n'est pas vrai, dit-il. Ils adorent ça, ils ont besoin de ça. Dans la danse, on est sans arrêt en contact. Il était impossible de ne pas autoriser le toucher. En revanche, il a fallu travailler à le désexualiser. »
Avec Nous, Anatoli Vlassov voulait écharper le cliché de l'autisme, en faisant aussi basculer l'atelier de l'amateurisme au professionnalisme. Il a réussi. Précisément construit, composé,Nous est mené de bout en bout par les neuf interprètes, sans aucun accompagnement sur le plateau. Courses, grappes de corps, sauts, chutes, le déroulé est calé sur la musique. « Leur rapport au temps est différent du nôtre, explique Anatoli Vlassov. Il a fallu trouver des repères qui fonctionnent. Ce sont les changements de sons qui les guident dans l'enchaînement des séquences gestuelles. » Certains danseurs récitent au micro des textes écrits ou improvisés par eux, pour la pièce. Matthias Bloess s'est inspiré des jeux vidéo, Alexandre Miriel se téléporte dans une école ou un magasin de sport, qu'il décrit comme s'il y était.
D'abord conçu comme une forme courte présentée au concours Danse élargie 2012, à Paris, Nous a pris de l'ampleur. A l'enseigne du festival Faits d'hiver, partenaire du projet européen Integrance autour de la danse et du handicap, la pièce se jouera sous l'un des chapiteaux de l'association Turbulences. En attendant de tourner, qui sait, dans le réseau classique des théâtres, Anatoli Vlassov compte sur le financement participatif (Kisskissbankbank.com) pour finaliser son projet.


Nous, d'Anatoli Vlassov. Faits d'hiver, chapiteau Turbulences, 12-14, boulevard de Reims, Paris 17e. Le 24 et 25 janvier, à 20 heures. Tél. : 01-42-74-46-00.

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