mardi 17 décembre 2013

Normal ou pathologique ?

12/12/2013

S’il est un problème difficile en psychiatrie, c’est bien la distinction entre les concepts de « normalité » et de « pathologie. » On connaît l’apport important du philosophe et médecin Georges Canguilhem[1], auteur en 1943 d’une thèse célèbre sur ce thème fondamental en médecine (Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique).

Pour les éditorialistes du Canadian Journal of Psychiatry, la plupart des « états mentaux négatifs », comme la tristesse, le désespoir, l’anxiété, la peur ne constituent pas des anomalies, mais des réactions normales aux vicissitudes de l’existence.
Cependant, les consultations auprès des psychiatres et des psychologues sont souvent motivées par une souffrance « normale » de ce type, et les professionnels concernés doivent alors arbitrer entre une problématique « habituelle » de l’existence (simple « déprime » par exemple) et une pathologie exigeant une action thérapeutique (contre une authentique dépression). Les difficultés pratiques proviennent du chevauchement fréquent entre des troubles relevant du « normal » et ceux touchant au « pathologique » : une confusion des genres peut conduire à une pléthore de diagnostics (faux positifs) ou au contraire à leur méconnaissance (faux négatifs). Mais cette distinction claire entre sujets « normaux » et « malades » ne concerne pas que les cliniciens : cette discrimination se révèle aussi fondamentale pour les chercheurs, car la sélection des sujets-témoins et des patients doit être aussi rigoureuse que possible pour ne pas introduire de biais dans les études, suite à des choix imprécis ou hétérogènes dans les populations observées.

Si cet échantillonnage s’avère contestable, les résultats de ces études seront difficilement interprétables et généralisables. L’évitement nécessaire des faux positifs soulève le problème du seuil (à partir duquel des troubles sont jugés pathologiques) et celui de la pertinence des critères de significativité clinique d’un ouvrage de référence comme le DSM. « Autant que possible, écrit Rachel Cooper[2], ces seuils devraient être déterminés de manière à ce que les avantages du diagnostic puissent l’emporter sur les désavantages. »

Dr Alain Cohen

Wakefield JC et First MB : Clarifying the boundary between normality and disorder: a fundamental conceptual challenge for psychiatry. Can J Psychiatry, 2013; 58: 603–605.

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