lundi 2 décembre 2013

Les essais cliniques, une chance pour les patients ?

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
| Nini La Caille
Les essais cliniques, qui permettent d’évaluer les thérapeutiques (médicaments, dispositifs médicaux, chirurgie…), n’ont pas une bonne image en France. Le grand public et même les médecins connaissent mal les circuits complexes de ce pan de la recherche médicale, alimentant les fantasmes autour des « cobayes » de la science. Les patients, eux, rechignent à y participer, encore plus depuis l’affaire du Mediator. De leur côté, les professionnels déplorent les pesanteurs administratives françaises ; et les industriels s’inquiètent du recul de l’Hexagone dans la compétition internationale. La situation est-elle si sombre ? Et les essais cliniques sont-ils au final un risque ou plutôt une chance pour les malades ?
« Surtout, ne parlez pas de cobayes. En France, il y a beaucoup de fantasmes autour de ce sujet, c’est culturel, mais ces recherches sont très bien bordées et contrôlées. Quel que soit le traitement, entrer dans une étude, c’est être mieux suivi pour sa maladie », insistent d’emblée les professeurs Christian Funck-Brentano et Jean-Sébastien Hulot, du Centre d’investigation clinique (CIC) Paris-Est (hôpital Pitié-Salpêtrière). Interfaces entre l’Inserm et les CHU où ils sont implantés, ces centres – 54 au total – sont des plates-formes consacrées à la recherche clinique.
MANQUE D’ENTHOUSIASME DES PATIENTS
Ils sont équipés, tant en moyens humains (infirmières, médecins, biostatisticiens…) que techniques, pour organiser et réaliser des essais cliniques dans un cadre académique ou industriel. Mais au CIC Paris-Est comme ailleurs, les équipes font face à un manque d’enthousiasme des patients. Selon un sondage IFOP-Lilly de 2010, 90 % des Français reconnaissent l’intérêt des essais cliniques, mais seulement 46 % se disent prêts à y participer.

« Les malades ne sont pas éduqués à ce qu’est la recherche clinique, et les médecins référents non hospitaliers sont méfiants : quand un patient, volontaire potentiel pour une étude, nous dit qu’il demande un avis à son médecin, il ne revient pas », constate le docteur Nathalie Nicolas, qui travaille aussi au CIC de la Pitié.
« Il y a une baisse globale de l’attractivité de la France pour les essais cliniques, et une baisse de l’adhésion des patients à la suite de la médiatisation d’affaires, comme celle du Mediator, concernant la sécurité des médicaments », relève le professeur Régis Bordet, neurologue et pharmacologue (université Lille-II). Il préside le Centre national de gestion des essais des produits de santé (CeNGEPS), groupement d’intérêt public créé sous l’égide du premier ministre pour « recruter plus, plus vite et mieux »dans les essais industriels. Le dispositif porte ses fruits (il a ainsi permis d’augmenter de 25 % le taux d’inclusion dans les études entre 2009 et 2011), mais il reste beaucoup à faire.
« ON PASSE POUR DES VENDUS »
« Rien que de proposer un essai, on passe pour des vendus, même si c’est dans un cadre institutionnel. Les gens ont peur des risques », regrettent le professeur Bruno Fautrel, chef du service de rhumatologie à la Pitié-Salpêtrière, et le docteur Laure Gossec, rhumatologue dans le même service. La motivation à entrer dans des études dépend aussi de la pharmacopée disponible pour la pathologie concernée. Dans le cas de maladies chroniques comme le sida, l’hépatite C, les cancers, ou encore des maladies rares, les patients sont souvent très demandeurs, d’autant que c’est le moyen le plus rapide pour accéder à de nouveaux traitements. Ainsi Arnault Ageorges, hémophile, contaminé en 1983 par le VIH, estime être un « miraculé » grâce aux trithérapies.
C’est aussi dans l’espoir de bénéficier au plus vite des avancées de la recherche que Cassandre, 14 ans, atteinte de mucoviscidose, est rentrée dans un essai testant une molécule du laboratoire Vertex. Celle-ci empêcherait l’expression délétère de la mutation Delta-F508, la plus fréquente dans la mucoviscidose et celle qui concerne Cassandre. « C’est lourd pour elle d’être là souvent, car elle manque 5 % à 10 % de ses cours, mais nous faisons confiance aux médecins », confie sa mère. Pour d’autres, la démarche est aussi altruiste. Depuis treize ans, Sophie Gruisset, 33 ans, atteinte de sclérose en plaques, a participé à de nombreux protocoles et dit « se sentir utile aux générations futures ».
« DÉFENDRE L’IDÉE D’UNE RECHERCHE "CITOYENNE" »
La situation est plus délicate dans d’autres spécialités. En rhumatologie, selon Bruno Fautrel, les malades sont devenus plus réticents à participer à des essais depuis l’arrivée des biothérapies (des médicaments issus des biotechnologies qui ont transformé la prise en charge des maladies inflammatoires). « Les refus sont moins fréquents pour des études qui mesurent la qualité de vie, par exemple la fatigue au cours de la spondylarthrite ankylosante, car les patients sont contents d’avoir une écoute », précise Laure Gossec, en insistant sur l’utilité des études observationnelles pour améliorer la prise en charge et l’observance des traitements.
« Souvent, les malades ne souhaitent pas être inclus dans un essai car ils veulent le nouveau médicament, pas le placebo ou le produit de référence, pensant que le nouveau traitement sera meilleur », estime Christian Funck-Brentano. Mais dans certains cas, l’essai démontre que le nouveau traitement n’apporte pas de bénéfices. « De tels résultats ne sont pas un échec, ils font avancer les connaissances, dit le pharmacologue. Pour progresser, il est fondamental d’évaluer les pratiques et, pour cela, il faudrait défendre l’idée d’une recherche “citoyenne”, c’est-à-dire d’une participation des patients à l’amélioration du savoir sur le traitement de leur maladie »
« INTERRUPTION D'UN ESSAI POUR DES RAISONS ÉTHIQUES »
Dans d’autres cas, c’est plus du monde médical que viennent les réticences aux études cliniques. Au risque de privilégier des traitements lourds dont le bénéfice n’est pas établi pour les malades, mais qui sont plus lucratifs pour les médecins ou l’hôpital. Une étude internationale, publiée le 20 novembre en ligne dans The Lancet, conclut ainsi qu’une prise en charge médicale simple est bien supérieure au traitement interventionnel (neurochirurgie, embolisation par voie endovasculaire ou radiothérapie) pour prévenir les complications des malformations artérioveineuses cérébrales non rompues. « Après trois ans de suivi, les risques d’accident vasculaire cérébral et de décès se sont révélés jusqu’à cinq fois plus élevés chez les patients avec un traitement interventionnel que chez ceux traités médicalement, ce qui a amené à interrompre l’essai pour des raisons éthiques », explique le professeur Christian Stapf, neurologue à l’hôpital Lariboisière à Paris et coordinateur de cette étude, appelée Aruba, en Europe.
Depuis des années, des interventions par chirurgie, embolisation ou radiothérapie sont proposées aux personnes chez qui a été découverte une malformation artérioveineuse cérébrale, mais leurs bénéfices n’avaient jamais été comparés à ceux de l’abstention chirurgicale. Christian Stapf, à l’origine de l’idée de ce protocole, qui devrait transformer les pratiques, a pourtant dû batailler ferme pour convaincre ses confrères européens, et surtout américains, d’y participer. Pour certains, il n’était pas éthique qu’un groupe de patients n’ait pas accès au traitement interventionnel, censé régler le problème d’une malformation vasculaire cérébrale. D’autres étaient peu motivés pour participer à une évaluation scientifique risquant d’invalider le bénéfice présumé de leurs interventions, souligne le neurologue de Lariboisière, en précisant qu’un patient américain dépense 100 000 dollars en moyenne pour le traitement curatif d’une telle malformation.
COMITÉ DE PROTECTION DES PERSONNES
L’étude Aruba a finalement été financée par des fonds publics américains (Instituts nationaux de la santé), mais ce sont les centres européens qui ont recruté deux tiers des 223 malades inclus. « Il faudrait faire une étude comparable avec les anévrismes cérébraux, bien plus fréquents que les malformations artérioveineuses. Il y a eu une tentative en 2006, mais l’essai a été arrêté par manque de recrutement », note Christian Stapf.
Quant aux patients qui se sont prêtés à une recherche, et ce dans tous les domaines, ils sont parfois critiques sur leur expérience. « Il est quasiment impossible, même pour qui a participé à un essai, d’avoir accès à une version résumée, et claire, des résultats globaux. Ces données devraient pourtant être disponibles facilement sur le site Internet de l’ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament] », regrette Christophe Demonfaucon, administrateur au Collectif interassociatif sur la santé (CISS) d’Ile-de-France, représentant des usagers dans un comité de protection des personnes.
 René Mazars, trésorier du CISS, est quant à lui amer du manque d’accompagnement. Atteint de polyarthrite rhumatoïde, il a participé en 2002 à l’essai d’une nouvelle molécule au CHU de Toulouse, mais personne ne l’a prévenu de l’interruption du traitement : le laboratoire avait cessé l’étude. « Quand on le sollicite pour l’inclure, le patient est souvent en position de faiblesse. Peu d’informations lui sont données à ce moment, l’important étant de recueillir un consentement sur des documents fréquemment incomplets, ajoute-t-il. D’autre part, on communique rarement sur les effets indésirables. » René Mazars reconnaît toutefois que les essais sont le plus souvent une chance pour les malades.
OPACITÉ DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE
Tel est aussi l’avis d’Yvanie Caillé, fondatrice de l’association Renaloo, qui déplore cependant que des patients n’aient ensuite plus accès aux médicaments qu’ils ont testés. C’est actuellement le cas, alerte-t-elle, avec le Belatacept, un immunosuppresseur qui « allonge la survie des greffons rénaux d’environ deux ans ». Yvanie Caillé demande donc que ce produit – qui n’a pas encore d’autorisation de mise sur le marché – soit inscrit sur la liste des médicaments hospitaliers pris en charge par l’Assurance-maladie.
La crise de confiance du public envers la recherche est aussi alimentée par l’opacité de l’industrie pharmaceutique, dont les pratiques sont régulièrement prises en défaut. Selon une étude publiée le 29 octobre dans le British Medical Journal, 29 % des résultats des 585 grands essais cliniques randomisés référencés avant janvier 2009 sur le site fédéral Clinicaltrials.gov n’avaient toujours pas été publiés en novembre 2012. Et l’absence de publication est presque deux fois plus fréquente pour les essais financés par l’industrie. Elle relève aussi que les études dans lesquelles les auteurs ont déclaré des liens d’intérêt ont plus de résultats favorables au produit testé que celles où aucun lien d’intérêt n’est déclaré. La proportion d’essais non publiés est même de 50 % selon une équipe française (PLOS Medicine du 3 décembre). « Quand les essais cliniques ne donnent pas les résultats escomptés, les données sont cachées aux médecins et aux patients », dénonce Ben Goldacre, médecin anglais, dans son livre Bad Pharma (Fourth Estate, 2012, en anglais). Outre la non-publication, « il existe de nombreuses façons de biaiser les résultats de l’évaluation d’un médicament, ils peuvent être manipulés pour faire apparaître les résultats positifs », martèle aussi la revue Prescrire.
OCCULTATION DES DONNÉES D'ÉTUDES CLINIQUES
Certains exemples sont mémorables. Dans le cas de l’anti-inflammatoire Rofecoxib, commercialisé en 1999 sous le nom de Vioxx par le laboratoire américain Merck, ce dernier a sciemment occulté des données d’études cliniques mettant en évidence un excès de risque d’infarctus et de décès avec ce médicament. Le Vioxx, qui a fait des dizaines de milliers de morts dans le monde, a finalement été retiré du marché en 2004, et Merck a été condamné.
« Un encadrement rigoureux de toute recherche clinique est impératif pour protéger le patient, permettre d’obtenir des données fiables et mener l’étude en toute transparence », estime le docteur Agnès Mogenet (CIC Necker). Néanmoins, l’amoncellement progressif de parapluies pourrait devenir contre-productif. »
« Certes, la recherche a énormément progressé pour la mucoviscidose, mais nous sommes dans une lutte au quotidien afin de trouver des fonds pour nos travaux, ajoute le professeur Isabelle Sermet Gaudelus, pneumopédiatre à Necker. La réglementation est extrêmement pointilleuse. Les lourdeurs administratives et le manque de personnel sont des freins supplémentaires. » Un constat récurrent chez les médecins impliqués dans les études cliniques, mais qui ne semble pas entamer leur passion du métier.
(PROCHAIN ARTICLE : LES NOUVEAUX MODÈLES D’ESSAI CLINIQUE.)


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