lundi 9 décembre 2013

Essais cliniques des médicaments : la nouvelle donne

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Par 
| Nini La Caille
Recours croissant aux nouvelles technologies et aux communautés de patients ; modifications profondes de la conception et du déroulé des études cliniques… Le développement et l’évaluation des nouvelles molécules thérapeutiques sont en pleine mutation. Le domaine des maladies génétiques a été parmi les premiers à faire bouger les lignes. « Nous devons être dans une créativité permanente car le modèle traditionnel des essais n’est pas adapté aux maladies rares », confirme Frédéric Revah, directeur général du Généthon. De fait, les essais thérapeutiques ne peuvent ici, par définition, être menés sur de vastes populations de malades.

Peu avant le Téléthon (Afm-telethon.fr), qui s’est tenu les 6 et 7 décembre, des chercheurs ont présenté les premiers pas d’un essai de thérapie génique qui illustre cette créativité. Il concerne la maladie de Sanfilippo, une affection du lysosome, « centre de recyclage de la cellule ». Les premiers symptômes, neurologiques, commencent vers l’âge de 2 ans, et la dégénérescence nerveuse aboutit à une mort prématurée, avant 20 ans. L’étude, qui vient de démarrer en France chez un premier malade âgé de 3 ans, consiste à injecter le gène manquant en intracérébral, par huit points d’entrée différents. Elle permettra de tester la tolérance et l’efficacité du traitement (phases 1-2) chez quatre petits patients. Si ces résultats sont positifs, elle sera suivie d’une étude de phase 3. Mais il n’est pas question, pour des raisons éthiques, d’injecter un placebo par voie intracérébrale à certains patients. « L’efficacité de la thérapie génique sera évaluée en comparaison avec l’histoire naturelle de cette maladie, que nous avons passé plusieurs années à étudier », précise le professeur Marc Tardieu, neuropédiatre à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), investigateur principal.
PREMIER LABORATOIRE À BUT NON LUCRATIF 
Pour faire avancer la recherche de thérapeutiques innovantes dans ce secteur, délaissé par les géants de l’industrie, l’Association française contre les myopathies (AFM) est allée jusqu’à monter son propre site de production de thérapie génique. Généthon Bioprod a obtenu le statut d’établissement pharmaceutique en juin, devenant le premier laboratoire à but non lucratif créé par une association de malades. Une révolution.
En cancérologie, c’est l’arrivée de traitements ciblés et du séquençage rapide et complet du génome des tumeurs qui bouleverse le schéma des essais cliniques et de la prise en charge. Classiquement, un médicament était développé pour un type de cancer, en fonction de l’organe atteint : sein, côlon… Les thérapies ciblées (dont une quarantaine sont déjà commercialisées et des centaines en cours d’étude) agissent au niveau d’anomalies moléculaires présentes dans des sous-groupes de cancers, sans rapport avec leur localisation.
En conséquence, ces traitements peuvent démontrer leur efficacité – parfois spectaculaire – plus rapidement, et être utiles dans plusieurs types de tumeurs, selon leur profil génétique. « Le crizotinib, qui cible les translocations [un type de mutation] du récepteur ALK, a été approuvé pour traiter certains cancers bronchiques en passant directement d’une phase 1 à une phase 3, relève le docteur Christophe Le Tourneau, responsable des essais de phase 1 à l’Institut Curie (Paris). Il est aujourd’hui évalué chez des patients positifs pour une des cibles de ce médicament, indépendamment de la localisation de leur cancer. »
« TRAVAUX EN COURS »
Dans le même esprit, ce cancérologue coordonne un essai original, nommé « Shiva », qui propose une thérapie ciblée à des patients en échec thérapeutique, en fonction du génome de leur tumeur. « Nous allons vers un concept de biologie des systèmes, qui consistera à choisir la meilleure combinaison thérapeutique, selon un ensemble de critères dont le génome de la tumeur. Les essais cliniques n’évalueront plus seulement des médicaments mais des algorithmes », prévoit le médecin. Pour faire face à ces évolutions, l’Institut Curie vient de créer un pôle de médecine de précision.
Le phénomène dépasse largement la cancérologie et les maladies rares. Laboratoires pharmaceutiques, chercheurs et agences de régulation explorent des pistes de réforme, en particulier pour les études de phase 3, de plus en plus longues et coûteuses pour les laboratoires. Parmi les options envisagées : une mise sur le marché (AMM) plus rapide des médicaments mais avec un suivi plus strict, notamment grâce au recours à des bases de données, qui fournissent des informations sur les traitements en « vie réelle » (par opposition aux conditions très restrictives des essais).
« Il y a beaucoup de travaux en cours sur l’utilisation de bases de données, par exemple pour identifier des profils particuliers de patients pour des études cliniques, confirme Soizic Courcier, qui préside le groupe attractivité du LEEM (Les entreprises du médicament). L’évaluation ne se fait pas seulement au moment de l’enregistrement, mais s’inscrit dans un continuum tout au long de la vie du médicament. Pour certaines molécules, il existe déjà des AMM conditionnelles, avec nécessité de fournir des éléments complémentaires. »
« RÉSISTER AUX CONFLITS D’INTÉRÊTS »
Critique sur le principe même des essais avec tirage au sort, le professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre et biostatisticien, plaide de son côté pour un système assez original : une « pré-AMM » assez précoce, après les essais de phase 2, puis une prescription limitée à des centres experts (type CHU), « qui permettrait de continuer l’évaluation avec un financement public », précise-t-il. Ce n’est que dans un troisième temps que l’usage serait étendu en médecine de ville.
« Actuellement, c’est l’industrie pharmaceutique qui évalue les médicaments qu’elle développe, ce qui ne devrait pas être toléré, justifie Bruno Falissard. C’est d’ailleurs pour résister aux conflits d’intérêts que les essais randomisés en double aveugle se sont développés. L’autre avantage de cette méthodologie est d’être la plus efficace pour apporter une réponse convaincante à une question simple. Mais, en pratique, une situation thérapeutique n’est jamais simple. »
Les nouvelles technologies, et notamment le Big Data, constituent un autre moyen d’optimiser les essais cliniques. « On va vers du tout-électronique, vers du temps réel, avec l’arrivée massive d’outils connectés pour collecter et transmettre des données au fur et à mesure et les archiver », explique Yoani Matsakis, membre de l’Afcros, association qui regroupe les entreprises prestataires de la recherche clinique et épidémiologique. Des objets intelligents dotés de capteurs mesurent l’heure du coucher, du réveil, l’activité cardiaque, la température corporelle… Des gélules à puce RFID ou des patchs surveillent la prise des médicaments. Et les données recueillies en ligne peuvent être envoyées à un smartphone, ou à une interface Internet. « Ces sujets sont au cœur de l’actualité de l’agence européenne du médicament [EMEA] et de la Food and Drug Administration américaine, la problématique étant la source électronique des données, leur traçabilité, leur fiabilité, poursuit M. Matsakis. Il faut des espaces d’hébergement indépendants, pour être certain de la sincérité des résultats. » « Cela pourrait être un outil merveilleux, mais des utilisations détournées seraient dangereuses… Il faut être prudent », insiste Denis Comet, président de l’Afcros.
ESSAIS VIRTUELS
Les chercheurs développent aussi des essais virtuels, en utilisant les principes de modélisation. Ces études « in silico » s’appliquent notamment pour les maladies rares, en cancérologie et en pédiatrie. « On est capable de modéliser un patient, le fonctionnement de ses organes, le système de la respiration par exemple, explique Yoani Matsakis. Un modèle mathématique permet de déterminer les facteurs influençant les résultats positifs ou négatifs d’un essai, et de mieux cibler les critères d’inclusion. On peut ainsi obtenir des informations avec 1 000 patients au lieu de 10 000, avec des délais de réalisation plus courts et des coûts considérablement abaissés. »
Les nouvelles technologies s’invitent aussi pour le recrutement des patients, où les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter permettent une mise en relation plus rapide, et à des coûts moindres. Fréquent dans les pays anglo-saxons, ce mode de recrutement commence à entrer dans les pratiques en France.
« Les promoteurs font appel à nous depuis un an pour les mettre en relation avec des patients susceptibles de participer à leurs recherches », confirme Michael Chekroun, président de Carenity, une plate-forme qui compte 25 000 patients, répartis par pathologie. De leur côté, ces derniers sont très demandeurs de participer à des essais cliniques, c’est l’un des sujets majeurs des échanges sur Carenity.
UNE CARTE D’IDENTITÉ GÉNÉTIQUE DE CANCERS
Bref, tout le monde y gagne. Il a même été montré (PLoS One) que le recrutement en ligne améliore la compréhension des protocoles par le biais de quiz interactifs, ou de vidéos. Pour autant, le recueil de données en ligne a ses limites. Le laboratoire Pfizer a interrompu son projet Remote, lancé à la mi-2011. Des patients, traités pour incontinence urinaire, étaient invités à transmettre leurs paramètres en ligne plutôt que de se rendre à l’hôpital. Les 600 volontaires prévus n’ont pas pu être recrutés, mais Pfizer ne renonce pas : le laboratoire, comme d’autres, réfléchit à des systèmes de recueil en ligne de documents de consentement.
De leur côté, deux jeunes oncologues français, Jean-Emmanuel Bibault et Charles Ferté, ont créé un site collaboratif (Cancerdriver.com, en anglais) permettant aux professionnels et aux patients de dresser la carte d’identité génétique de cancers. « C’est une sorte de Wikipédia des biomarqueurs, qui indique aussi les essais cliniques en rapport avec chaque biomarqueur »,précise M. Bibault. Il souhaite offrir bientôt un service de géolocalisation, proposant aux malades les études les plus proches de chez eux.

Grâce aux réseaux sociaux spécialisés, des patients experts de leur maladie sont même parfois à l’origine de recherches. La communauté PatientsLikeMe a, par exemple, évalué les effets d’un régulateur de l’humeur, le lithium, chez 149 patients atteints de sclérose latérale amyotrophique, une maladie neurodégénérative grave. Ces malades, qui avaient décidé de prendre ce produit sur la foi des résultats d’une petite étude, ont pu, grâce à un algorithme, être comparés à 300 autres ne le prenant pas. Avec douze mois de recul, il a finalement été montré que le lithium était inefficace : écarter les fausses pistes est l’une des vertus des essais cliniques. Une information précieuse, que les grands groupes ne sont pas toujours très disposés à partager.

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