mardi 24 décembre 2013

Claire Tournefier, sauveteuse de jouets

LE MONDE  |Par 

Avec son association Rejoué, Claire Tournefier donne une seconde vie à des milliers de jouets et offre du travail à une vingtaine de personnes.
Avec son association Rejoué, Claire Tournefier donne une seconde vie à des milliers de jouets et offre du travail à une vingtaine de personnes. | DR

Epargnons à la poupée Barbie l'affront d'échouer dans une poubelle, surtout en tenue de soirée. Imaginez les épluchures de patate collées à la robe de satin rose… Et en plus, ce n'est bon ni pour l'écologie ni pour la cohésion sociale. Claire Tournefier le prouve avec son association, Rejoué. L'objectif est louable à plus d'un titre : offrir une seconde vie à des milliers de jouets qui ne servent plus, donner du travail à une vingtaine de personnes, contribuer à préserver la planète.
Avec ses beaux diplômes de communication et de marketing, les beaux Salons de l'agroalimentaire qu'elle organisait, un beau salaire, Claire Tournefier ne gravitait pas franchement dans l'univers de la récup et de l'insertion sociale. Mais dans ce secteur de l'événementiel comme ailleurs, les sociétés fusionnent, de jeunes cadres sup placardisent les anciens qui ont le mauvais goût d'avoir un enfant au moment où tout se joue. « Violent. » C'est ainsi que cette quadragénaire qualifie son retour de premier congé maternité. « Je me suis mise à réfléchir à l'utilité de mon travail. »

D'autres pièces ont complété le puzzle de son changement de vie. Bénévole à la Croix-Rouge du 14e arrondissement parisien, elle découvre qu'au grenier du local s'entassent des jouets donnés dont personne ne sait que faire. Ils finiront jetés, faute de mains pour les trier et les nettoyer. D'autant que la Croix-Rouge en cherche surtout des neufs. « Une aberration », juge la rationnelle Claire Tournefier. Même chose chez elle, à la maison : « A Noël, mon fils reçoit plein de jouets de la famille. Deux ou trois par personne ! Dans un appartement qui n'est pas immense, ils échouent à la cave. On n'ose pas les jeter, c'est untel qui les a offerts, mais ils sont bazardés au premier déménagement. »
270 EUROS DE DÉPENSE PAR ENFANT PAR AN
Elle découvre alors que la France est le deuxième plus gros consommateur de jouets en Europe (chaque année, 243 millions d'objets vendus, 270 euros de dépense par enfant), dont certains ne sont pas même déballés avant d'atterrir dans les associations caritatives ou à la poubelle.
Gâchis, gaspillage, surconsommation. De cet écoeurement naît en mars 2012 Rejoué. Claire Tournefier embringue avec elle une poignée d'amies mères de famille versées dans le développement durable ou l'insertion des jeunes. « Le jouet solidaire et écoresponsable » est lancé. Ecologique car de seconde main : on réutilise plutôt que de produire de nouveau et de transporter. Solidaire car issu d'un chantier d'insertion. « C'est un atelier que j'ai d'abord pensé pour les femmes exclues du marché du travail parce qu'elles sont mères et pour lesquelles les emplois d'insertion classiques sont souvent trop physiques. »
Il lui faut deux années et demie pour monter ce jeu de construction. Qui consiste à emboîter études de faisabilité, business plan convaincant, subventions (région Ile-de-France, mairie du 14e, Ville de Paris, Pôle emploi…), concours de fondations d'entreprise (Suez, Macif, Fondation de l'Echiquier, aéroports de Paris). Et puis Antropia, l'incubateur social de l'Essec, l'accompagne. Enfin, SFR la sacre jeune talent de l'entrepreneuriat social, ce qui lui permet d'ouvrir un atelier tout près de la porte de Vanves, en rez-de-chaussée d'un HLM, et, en mars, une minuscule boutique attenante. Surtout, depuis le 23 novembre, Claire Tournefier dispose d'un local, avec vitrine, à l'entrée de la galerie commerciale Gaîté, dans le 14e arrondissement. Jouant à la marchande pour de vrai, elle y vend jouets, jeux et livres à moitié prix et souvent comme neufs. « Ce n'est pas parce que les jouets sont d'occasion qu'il doit y avoir une ambiance farfouille, tout en vrac dans des bacs. »
ÉVITER DE STIGMATISER LES CLIENTS
Le local, les jouets et les emballages, tout est soigneusement pensé pour éviter de stigmatiser les clients. Ceux qui ont peu de moyens n'auront pas l'impression de pénétrer chez Emmaüs. Et ceux qui les ont trouveront chez Rejoué un cadeau à haute valeur environnementale et sociale – vous ne passerez pas pour un pingre mais pour un éveilleur de consciences juvéniles.
On l'a compris, Rejoué n'est pas un vide-grenier : qualité et propreté garanties ! Pas moins de dix tonnes de jouets ont été collectées en 2013 dans les écoles, entreprises, associations, ou apportés par des particuliers. Ils sont auscultés, pour vérifier leur bon fonctionnement, puis nettoyés, complétés, rhabillés, réemballés… C'est le boulot de l'atelier où s'affairent quatorze personnes qui avaient perdu de vue le monde du travail et quatre jeunes en emploi d'avenir.
Dont Dylan, étoile brillante de shérif sur la poitrine, bateau de pêche plastifié en main. « C'est autre chose que de travailler dans le bâtiment ! On est payés pour jouer. Faut bien voir si ça marche. Ça rappelle des petits souvenirs… » L'ambiance dans l'atelier est joyeuse. Chez ceux qui ont parfois vécu la rue, l'alcoolisme, la drogue, des situations familiales alambiquées, des problèmes de santé, « le jouet réveille des possibilités qu'ils avaient étant enfants, des valeurs positives, des bonheurs passés », explique Claire Tournefier. Elle ajoute : « Quand on manipule, il y a des bruits, c'est décalé, on rigole. Dans leur rapport au jouet, on capte, aussi, des petites choses révélatrices, des attitudes d'appropriation, de réparation de blessures. »
Lorsqu'ils confient leur nounours, les donateurs racontent volontiers une petite tranche de vie (« C'était à mon fils… ») que les employés de l'atelier apprennent à recevoir, devenant les garants du bon usage qui en sera fait. Dans la boutique, que fréquentent aussi leurs proches, ils perçoivent la satisfaction des clients. Evidemment, il y a dans cette activité de quoi se sentir moins « Lapins crétins » qu'en séparant le plastique du carton sur une chaîne de tri.

Pour continuer à caser en fin d'année la moitié de ses salariés dans un emploi ou une formation qui tienne la route (en pleurant à chaque départ, confie-t-elle, un rien Bisounours), et pour être moins dépendante des financements publics, Claire Tournefier doit vendre davantage de jouets. Alors elle imagine de futures ventes « vintage » de Meccano, Atari, Kiki des années 1970. Elle pense aussi à un atelier de conception de nouveaux jouets à partir de morceaux d'anciens. Ou à un système de location de jouets d'occasion. Sa « Toy Story » écolo-solidaire ne fait que commencer.

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