lundi 11 novembre 2013

Le « forfait jours », une abstraite mesure du travail flexible

LE MONDE | 

L'accord interprofessionnel du 19 juin sur la qualité de vie au travail promet que « les entreprises chercheront les moyens de concilier vie personnelle et vie professionnelle par l'institution de temps de déconnexion ».
L'accord interprofessionnel du 19 juin sur la qualité de vie au travail promet que « les entreprises chercheront les moyens de concilier vie personnelle et vie professionnelle par l'institution de temps de déconnexion ». | LEFRANC DAVID/GAMMA N-Y

En rupture avec l'habituel calcul en heures et sur la semaine, le « forfait jours » annuel, créé par la loi du 19 janvier 2000, a été le premier pas vers un droit du « travail de l'immatériel ». Il répondait à un double questionnement.
D'abord, comment mesurer le temps de travail d'un « cadre autonome » ? Le passage de 39 heures à 35 heures allait alors entraîner un bien délicat décompte. Experts, journalistes et autres consultants travaillant chez eux, dans les trains et les avions, et, grâce aux technologies nouvelles, pouvant le faire toujours et partout, vouloir compter leur temps de travail à l'heure près semblait vain.
Comment, dans ce cas, garantir une baisse du temps de travail à ce type de collaborateur ? Un cadre ne comptant pas ses heures, une réduction en heures étant illusoire, il faut donc accorder des jours de repos supplémentaires. Astucieux, car le cerveau ne se repose pas comme le bras d'un ouvrier quittant sa machine : au-delà de la déconnexion matérielle (couper son smartphone), quand une idée nous travaille, la déconnexion intellectuelle prend du temps.
Créatif, mais équitable, car mis en place par un accord collectif avec un maximum de 218 jours travaillés, ce système préfigure le droit du travail de demain. Mais ce n'est pas aussi simple... Car les temps communautaires de repos, toujours en heures, doivent être respectés.
Depuis la directive de 1993, au nom de la santé de chaque salarié, l'employeur doit lui garantir onze heures de repos entre deux jours, soit 24 heures + 11 heures = 35 heures de repos le week-end. Or, un quart des salariés en « forfait jours » travailleraient le dimanche.
LA PASSION DU TRAVAIL EXISTE
Mais est-ce un labeur commandé ? La passion du travail existe ! Faudrait-il, en contrepartie, décompter le présentéisme contemplatif du début d'après-midi en entreprise, ou les cinquante-huit minutes quotidiennes de surf sur Facebook et YouTube ?
Pour un obsédé textuel, ce mécanisme - c'est-à-dire l'exportation de la vie professionnelle à la maison et l'importation de la vie personnelle au bureau - fait vraiment désordre. Mais cette flexibilité individuelle se banalise.
La « subordination juridique permanente » fordiste, critère du contrat de travail, et donc du droit du travail manufacturier, est contre-productive pour des travailleurs du savoir soucieux d'autonomie, voire d'opacité quant à leur emploi du temps : c'est le résultat qui compte. Certes, mais ils sont également, parfois, soumis à une organisation bien lourde à gérer en termes de vie privée.

Alors il faut avancer. L'accord interprofessionnel du 19 juin sur la qualité de vie au travail promet que « les entreprises chercheront les moyens de concilier vie personnelle et vie professionnelle par l'institution de temps de déconnexion ». Pour se reconnecter avec nos proches, car l'intérêt de tous est que les salariés marchent sur deux pieds.

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