mardi 19 novembre 2013

La folie à deux

07/11/2013

À l’heure du DSM-5 triomphant, il est surprenant (et réconfortant pour notre petit côté chauvin !) de voir ressurgir du passé un diagnostic formulé dès 1877 par les aliénistes français Ernest-Charles Lasègue[1] (1816–1883) et Falret. Selon les sources, la copaternité de ce syndrome est créditée soit à Jean-Pierre Falret (1794–1870), soit à son fils Jules, également psychiatre (1824–1902). La date de publication (1877) plaide plutôt pour Jules Falret, car son père était alors déjà mort.  Des psychiatres de l’Université du Missouri (États-Unis) décrivent un cas d’infanticide sur un bébé de 4 mois par ses parents (qui l’ont laissé mourir de faim et de déshydratation), du fait d’une pathologie psychiatrique de la mère (« troubles schizo-affectifs ») et d’un « trouble psychotique partagé » par le père, en l’occurrence une « folie à deux » (l’expression étant passée, en français, dans le langage des psychiatres anglo-saxons). Cette situation décrit une psychose « partagée » ou induite, avec transmission des idées délirantes d’un individu dit dominant à un autre, plus suggestible (voire à plusieurs autres).

Dans cette observation, le délire portait notamment sur une thématique religieuse, le couple croyant ainsi que « tout le monde est possédé par des démons », et que les « remèdes naturels » constituent les seuls traitements efficaces. Les parents psychotiques versaient aussi dans les fumeuses « théories du complot » prêtant par exemple des intentions de « conspiration » aux médecins et aux laboratoires pharmaceutiques. Bien que ce diagnostic remonte donc au XIXème siècle, les auteurs déplorent que nos connaissances n’aient guère évolué depuis cette époque : en dehors d’un changement d’appellation au fil des éditions du DSM (trouble psychotique induit, trouble psychotique partagé), la perception de cette folie à deux demeure pratiquement identique à la description initiale établie jadis par Lasègue et Falret. On peut inversement se féliciter de la qualité remarquable du travail des aliénistes classiques, puisque leur œuvre a pu résister aussi bien aux ravages du temps !

Dr Alain Cohen

Rahman T et coll.: Infanticide in a case of Folie à Deux. Am J Psychiatry, 2013; 170: 1110–1112.

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