lundi 28 octobre 2013

Un lieu de vie, la quête sans fin d’Elias, autiste

MARIE PIQUEMAL


En ce moment, Elias fait une fixation sur Astérix. Il regarde le DVD en boucle et ce sera comme ça jusqu’à ce qu’il soit rayé, prévient son père. Elias a 15 ans, mesure 1 m 95, pèse 140 kg et chausse du 49. «C’est vrai qu’il a un gabarit hors normes. Mais si on enlève ça, quand on le voit, on ne se doute pas qu’il est handicapé», poursuit le père, Driss Hamdaoui. Il tient à ce que son nom figure en toutes lettres, dans l’espoir que cela fasse avancer son dossier.
Son fils est autiste, il communique avec cinquante mots seulement et des gestes. Mais comprend tout. L’institut médical éducatif du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), dans lequel il va en semaine, accueille des enfants handicapés de 6 à 12 ans. Elias a largement dépassé la limite d’âge, et même la dérogation de deux ans supplémentaires. Le directeur a prévenu : à partir de mars, il ne l’acceptera plus. Ses parents avaient pourtant entrepris les démarches bien en amont. Deux ans qu’ils se démènent pour lui trouver une place dans une structure adaptée. Démener, c’est peu de le dire. «Nous sommes en guerre, dit le père. On ne demande pas la lune, juste une place pour notre enfant, pour qu’il soit bien pris en charge.»
«Lueur». La France manque de places dans les établissements pour personnes handicapées, sans que les pouvoirs publics ne soient en mesure de dire combien. Christel Prado, la présidente de l’Unapei, fédération d’associations défendant les personnes handicapées mentales, dénonce l’hypocrisie des gouvernements successifs. Le manque de statistiques publiques permet surtout à l’Etat, selon elle, de se défausser et ne pas faire face à ses responsabilités. Une récente décision de justice est venue les lui rappeler.
Le 7 octobre, le juge administratif a condamné l’Etat à trouver d’urgence une place à Amélie, une jeune femme lourdement handicapée (lire ci-contre). Une «lueur» pour les parents d’Elias. Sur la table de la salle à manger, dans leur maison d’un quartier pavillonnaire de Sevran (Seine-Saint-Denis), un énorme classeur plein à craquer, contenant toutes les preuves écrites des démarches effectuées. Ils ont frappé à toutes les portes. La voie classique, d’abord, via la maison départementale pour lespersonnes handicapées. «La CDAPH [la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, ndlr] vous envoie une liste d’établissements susceptibles d’accueillir votre enfant. Ensuite, votre boulot c’est de les harceler, un après l’autre, pour obtenir une réponse écrite. Sans ça, vous êtes baladé, et votre situation n’avance pas»,raconte Driss Hamdaoui.
Détermination.En février 2012, il essuie trois refus pour manque de place. Il retente le coup, en élargissant le périmètre géographique. Refus sur refus. Driss Hamdaoui passe ses nuits sur Internet, à la recherche éperdue de nouvelles structures. «Aussi fou que cela puisse paraître, la CDAPH n’a pas de liste des établissements à jour.» Il en trouve six, mais se heurte à six nouveaux refus. «En fait, plus vous montez en âge, moins vous avez de chance de trouver une place», explique-t-il. Et plus le handicap est lourd, moins il y a de structures adaptées… Driss Hamdaoui parle calmement, sans s’énerver mais avec détermination. «Nous irons jusqu’au bout. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Si demain, mon fils n’a pas d’établissement, ma femme doit s’arrêter de travailler. Mais avec un salaire, on ne passe pas : il faudra vendre la maison.» Lui est logisticien chez Total, elle, travaille au siège de la Croix-Rouge. Au-delà de l’argent, elle craint de ne pas tenir nerveusement, et physiquement aussi. «Je n’ai pas peur de mon fils, ça non. Mais je ne fais plus le poids. Quand il fait ses crises, on ne le contrôle pas. Il peut être violent», dit-elle, en se tournant vers son mari : «Je lui montre ?» Sur son épaule, une trace violette avec un pansement. «Il m’a mordue jusqu’au sang, l’autre jour. Il a une telle force, qu’il a arraché la fenêtre de la salle de bain. Carrément, avec la menuiserie autour.»
Elias traverse la pièce, le souffle court. Son père se lève promptement, allume illico la télé : Astérix, «ça le détend». Il reprend la conversation, méthodiquement, son tableau Excel sous les yeux : «J’ai répertorié là toutes les démarches, pour avoir une vision synthétique.»
Belgique. Mai 2013, il inonde les politiques, les médias et les représentants de l’Etat. Une lettre, deux recommandés… «No news, peut crever.» Jusqu’à cette convocation le 4 juillet pour assister, lui et sa femme, à une commission exceptionnelle sur le cas d’Elias. «Ils étaient une vingtaine, des directeurs de différents établissements, un représentant de l’ARS [agence régionale de santé]. Ils m’ont écouté poliment. J’étais persuadé qu’ils nous avaient fait venir pour me proposer une solution. Et là, je m’entends dire : "Monsieur, nous sommes désolés, mais nous n’avons pas de place. Tournez-vous vers la Belgique."» Il a explosé, à bout. Lui qui parlait jusque là si calmement élève la voix : «Les personnes handicapées dérangent. Personne n’en veut. On en fait quoi , on les pique ? Ils sont là, l’Etat doit prendre ses responsabilités. Je ne lâcherai pas. Pour mon fils, et pour tous les autres, ceux dont on ne parle pas.» Il est en train de peaufiner son dossier pour déposer plainte.
Photos Martin Colombet

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