vendredi 25 octobre 2013

Des experts scientifiques sous influence

LE MONDE | Par 
Une superbe enquête de l'organisation non gouvernementale (ONG) bruxelloise Corporate Europe Observatory (CEO), publiée le 23 octobre, le montre de la manière la plus convaincante possible : près de 60 % des experts externes de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sont en situation de conflit d'intérêts (lire notre article paru dans Le Monde du 24 octobre). C'est-à-dire qu'ils ont un ou plusieurs liens contractuels, directs ou indirects, avec des entreprises dont ils évaluent les produits (pesticides, additifs alimentaires, etc.).
Ce genre de révélation provoque deux types de réactions, également simples et également trompeuses. La première est la défiance. Elle consiste à imaginer que les experts en question sont des "vendus". La seconde est l'incrédulité. Elle revient à suspecter les ONG d'agiter le spectre du conflit d'intérêts pour discréditer les conclusions ou les opinions émises par des experts. L'argument du conflit d'intérêts serait ainsi, en quelque sorte, une arme sournoise utilisée contre la science et les scientifiques lorsque ceux-ci n'ont pas l'heur de plaire.

"VENDUS"
En réalité, les "vendus", s'il en existe, sont rares. Les faits sont plus subtils, comme le formule avec acuité le rapport du CEO :"L'influence de l'industrie tend à s'exercer à travers des processus structurels de long terme consistant à construire des relations au sein même de la communauté scientifique, d'y promouvoir une culture, des dynamiques collectives, l'acceptation de certains paradigmes, etc." Et tout cela passe par des liens d'intérêts.
L'influence est-elle réelle ? Elle travaille en tout cas de plus en plus la communauté scientifique elle-même. Pour s'en convaincre, il suffit (en ne sélectionnant que les éditoriaux, correspondances et synthèses, pour éviter les effets de masse dus à l'augmentation de l'activité scientifique) de relever le nombre d'articles publiés dans la littérature savante mentionnant le terme "conflit d'intérêts" et de suivre leur évolution.
Le résultat est éloquent. Il suggère que cette question est une préoccupation de plus en plus marquée dans le monde de la recherche, exprimée par les scientifiques eux-mêmes dans les revues où se construit la connaissance.

On voit que la traque des conflits d'intérêts n'est pas nécessairement un argument des militants contre les scientifiques, mais un instrument que les scientifiques utilisent de plus en plus pour apprécier le travail de leurs pairs. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant. Bien utilisée, l'étude des conflits d'intérêts n'est pas une arme de disqualification a priori : c'est un instrument qui permet de comprendre et d'expliquer, a posteriori, des divergences de résultats ou de jugements. Comprendre et expliquer : n'est-ce pas la raison d'être de la science ?

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