mercredi 11 septembre 2013

Sourds et mal entendus

ERIC FAVEREAU
9 SEPTEMBRE 2013

Ce sont des histoires que l’on n’entend pas. Comme celle de ce patient sourd qui reçoit une ordonnance où il est écrit : «Trois comprimés à répartir dans la journée au moment des repas.» Résultat ?«Ce patient a dû être hospitalisé en urgence, raconte le docteur Jean Dagron, parce qu’il avait avalé trois anti-inflammatoires à chaque repas !»Monsieur G. aussi est sourd. Il a un diabète mal contrôlé depuis des années, avec de graves complications, surtout aux pieds. «Il m’a dit qu’il s’était rendu aux urgences, raconte Jean Dagron, et qu’il avait été renvoyé chez lui à 3 heures du matin avec un courrier et un numéro de téléphone pour prendre rendez-vous. J’appelle le médecin de garde qui me dit : "Il n’y a pas eu de problèmes, la communication était possible, je lui ai expliqué qu’il fallait équilibrer son diabète."» En fait, ce patient est en échec thérapeutique depuis des mois,«parce que les soignants sont en échec de communication, sans en avoir conscience».

Toutes ces histoires que raconte Jean Dagron sont autant de petits faux pas. Ce médecin est unique : il a le talent de faire émerger ce que l’on ne voit pas ou ce que l’on n’entend pas. Il a longtemps travaillé sur le sida, puis il a été l’initiateur de la toute première consultation en langue des signes à l’hôpital parisien de la Salpêtrière, en 1995. Dans les années 2000, il a été médecin au CHU de Marseille, avant de s’occuper de formation au numéro national d’urgence pour les sourds.
«Ecrire ? Ce n’est pas simple. Les sourds ont un rapport difficile avec l’écrit. Ils peuvent apprendre de nouveaux mots, mais le sens d’un texte peut leur échapper.» Jean Dagron a connu beaucoup de ces mots qui dérapent, de ces messages mal compris. «Depuis que je travaille dans l’unité d’accueil des sourds à Marseille, je prends soin de lire avec attention leurs écrits, raconte-t-il dans Paroles silencieuses (1). Souvent, ils ressemblent à ceux des apprenants de langue étrangère, mais il y a des particularités, peut-être liées à une pensée visuelle, parce qu’on les retrouve dans les écrits de tous les sourds.» Voilà pourquoi Jean Dagron prône la présence d’un interprète en ces moments où la médecine se doit d’être attentive.
(1) Editions du Crilence, 10 €.

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