mercredi 11 septembre 2013

Oserons-nous relancer le débat sur la fin de vie ?

VÉRONIQUE FOURNIER DIRECTRICE DU CENTRE D’ÉTHIQUE CLINIQUE DE L’HÔPITAL COCHIN 


«Comment rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus ?», demandait François Hollande au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) lorsqu’il l’a saisi en janvier. Ce qui renvoie à la question suivante : peut-on aller pour cela jusqu’à hâter un peu la mort du mourant ? Oui, proposait sur ce point la commission Sicard en décembre 2012 : «Lorsque la personne en situation de fin de vie […] demande expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie, il serait cruel de la laisser mourir ou de la laisser vivre, sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort.» Non, a répondu le CCNE début juillet : «Le maintien de l’interdiction faite aux médecins de provoquer délibérément la mort protège les personnes en fin de vie, il serait dangereux pour la société que des médecins puissent participer à donner la mort.» L’instance éthique se range donc résolument derrière la distinction ayant orchestré l’équilibre général de la loi Leonetti, la fameuse distinction entre le «laisser mourir» et le «faire mourir». Elle continue de condamner absolument tout acte qui pourrait précipiter la mort.

Pourtant, force est d’admettre que la loi de 2005 n’a pas suffi à enrayer le mal mourir en France. On peut même avancer que, dans un certain nombre de cas, la loi Leonetti a obtenu l’effet strictement inverse de son objectif : elle a aggravé les conditions du mourir. Pourquoi ? Précisément parce que les équipes soignantes sont devenues tellement obnubilées par la nécessité d’éviter absolument le faire mourir qu’elles peuvent en devenir aveugles à ce qu’elles font subir au patient. Certes, il y a moins d’acharnement thérapeutique ou d’obstination déraisonnable qu’autrefois. Le patient est calmé, il ne semble pas souffrir, du moins selon les échelles d’évaluation de la douleur qui sont disponibles. Mais il ne meurt pas. Ou du moins il n’en finit pas de mourir, car tout est fait pour qu’il ne puisse pas être dit que la médecine a hâté les choses. Parfois, ce temps qui dure est habité, animé, vivant, «humain». D’autres fois, il est vécu comme «inhumain» par ceux qui en font l’expérience, le patient d’abord, mais aussi ses proches. Ils l’expriment. Mais alors il y a fort à craindre que le dialogue se tende, rendant l’approche de la mort encore plus douloureuse, car les équipes soignantes se sentent à risque d’être malgré elles poussées à précipiter la mort, ce que précisément elles ne veulent pas faire.
Il est plus que temps d’abandonner cette distinction, entre le laisser mourir et le faire mourir. D’ailleurs, à y regarder de près, elle est souvent bien illusoire, comme en témoignent les discussions sans fin pour savoir si tel traitement est de confort ou non, ordinaire ou extraordinaire, et si on est bien dans le laisser mourir, sans flirter avec le faire mourir. Comme il est grand temps que les médecins, face à un patient dont ils savent qu’il va mourir, assument l’intention de mort : illusion là encore de penser qu’ils puissent faire comme s’ils ne savaient pas, s’en laver les mains, et se retirer sur leur Aventin en attendant que la supposée nature fasse son œuvre. Oui, une demande d’aide médicalisée à mourir devrait pouvoir être accueillie positivement, lorsqu’elle survient au bout de la maladie, chez un patient qui a demandé que soit arrêté tout traitement en sachant qu’il allait en mourir. Et pour l’honorer, il faudrait pouvoir s’inspirer du savoir-faire des soins palliatifs. Nous devrions faire en sorte que ce geste s’inscrive dans un accompagnement fait de tranquillité, de douceur, de lien avec les proches, en respectant le temps nécessaire et suffisant pour que la mort soit aussi sereine que possible pour chacun. Ce qui s’appelle déjà ailleurs une euthanasie palliative, car il ne s’agit pas que soit puni celui qui demande à être aidé médicalement à mourir en lui infligeant la violence insupportable d’une injection létale foudroyante. Ce n’est pas ce qu’il demande.
Resterait la question de l’aide à mourir de façon vraiment anticipée, celle du suicide assisté exprimée par quelqu’un qui se sait condamné à brève échéance mais qui n’est pas mourant. François Hollande l’a également posée de façon très claire au CCNE : «Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome atteint de maladie grave et incurable d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ?» C’est une tout autre question, elle n’est plus de nature seulement médicale. Elle est philosophique et existentielle. Elle s’inscrit dans le prolongement de la tendance autonomiste et libérale à l’œuvre depuis quelques décennies : peut-on choisir l’heure de sa mort ? Est-ce là une ultime étape nécessaire sur le chemin de l’homme vers toujours plus d’affranchissement de lui-même et maîtrise de son destin ? Si l’évolution est probablement inexorable, ne serait-ce que du fait d’être portée par le mainstream qui vient d’être évoqué, on peut craindre, à lier les deux questions, d’entretenir une certaine confusion entre des enjeux de nature bien différente.

Chaque chose en son temps. Réglons déjà la première. Il y a urgence. A trop tergiverser, on fait le lit d’une législation plus radicale d’emblée, par exaspération que le sujet n’avance pas. Il y aurait un double risque à légiférer trop vite en matière de suicide assisté : 1) Que les soignants se désengagent du dispositif, en estimant que ce n’est pas à eux d’apporter cette aide à mourir de façon anticipée. Or, c’est précisément d’eux que nos concitoyens l’attendent, car ils craignent l’échec, la solitude et la violence d’un acte ni médicalisé ni accompagné ; 2) Que, braqués par une évolution sociétale qu’ils vivront contre eux, ces mêmes soignants accentuent leur désinvestissement sur les conditions ordinaires du mourir, aggravant encore la «mal mort» déjà si fréquente au quotidien. Au lieu de considérer ce dernier sujet comme un sujet de bonnes pratiques médicales, qu’il est de leur devoir d’affronter à bras-le-corps et de résoudre, on aurait beau jeu de le transformer en une question idéologique et philosophique de même nature que le suicide assisté, ce qu’il n’est pas.

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