samedi 14 septembre 2013

Les effets saisissants de Georg Baselitz

LE MONDE | Par 
"BDM GRUPPE" (2012, bronze patiné) de Georg Baselitz, est un groupe monumental composé de trois figures hautes de 3 mètres.
"BDM GRUPPE" (2012, bronze patiné) de Georg Baselitz, est un groupe monumental composé de trois figures hautes de 3 mètres. | JOCHEN LITTKEMANN COURTESY GALERIE THADDAEUS
On a beau savoir depuis longtemps – il est né en 1938 et actif depuis plus d'un demi-siècle et a bénéficié de rétrospectives prestigieuses – que Georg Baselitz est un des plus grands artistes vivants, on n'en reste pas moins stupéfait de la force créatrice que manifestent les bronzes, toiles et dessins qu'il expose à Paris cet automne, tous travaux de 2012 et 2013.
Les bronzes, d'abord : ils sont tirés à partir des sculptures que Baselitz taille dans des billes de bois de plusieurs mètres de haut. A la hache, à la scie, à la gouge, il en fait surgir des corps, qui portent comme des cicatrices les traces des lames qui les ont dégrossis.
Récemment, l'artiste a eu une idée nouvelle : découper des disques plats dans le tronc, les évider et obtenir ainsi des cerceaux irréguliers. Il les enfile autour de l'axe qui tient lieu de colonne vertébrale, et ils deviennent ainsi les côtes d'une cage thoracique. L'effet est d'autant plus saisissant qu'il est très simple.

A ce travail du bois, succède celui du métal et de la patine, sombre, la sculpture de bois étant moulée et fondue. Par cette métamorphose matérielle, chaque figure se trouve unifiée et, si l'on peut dire, durcie. Isolées, en groupe ou en couple, ces hautes statues qui réduisent l'anatomie à un squelette tordu et la tête à une masse plus ou moins ovoïde relèvent tantôt du tragique, tantôt du tragi-comique. Une incision, une dissymétrie, un déséquilibre suffisent à leur donner une expression particulière. De telle femme, on dirait qu'elle minaude ; de tel homme qu'il fait le bravache.
UNE PUISSANTE ATTRACTION EXERCÉE PAR LES SCULPTURES
Les bronzes se dressent parmi les toiles d'une série aussi récente, La Série noire. Des oiseaux – les aigles que Baselitz peignait jadis tête en bas – et des humains s'y reconnaissent vaguement. Les plumages des uns, la stature des autres sont recouverts et absorbés par des vagues d'outremer sombre et de brun presque noir. Il n'en reste que des traces, comme des formes qui auraient été carbonisées par un feu impitoyable. Rien n'échappe à son pouvoir de destruction.
Dans quelques toiles, des taches grises font songer à de la cendre mouillée. Sans doute serait-ce simplifier que de proposer une interprétation historique, même si les références à la seconde guerre mondiale sont très nombreuses dans l'œuvre de Baselitz depuis ses débuts. Aussi ne peut-on s'empêcher d'y songer, confronté à ces murs de ténèbres denses et terreuses.
En entrant dans la galerie, on remarque à peine une ligne de dessins, tant est puissante l'attraction exercée par les sculptures. En y revenant plus tard, en en découvrant d'autres un peu à l'écart au fil du parcours, on s'aperçoit que ces œuvres sur papier, à l'encre ou au feutre, sont, soit des variations à partir de ses bronzes, dont il creuse, troue et ploie la forme avec la liberté qu'autorise le dessin ; soit des vanités où l'antique motif du crâne est tracé en quelques lignes d'encre avec une sûreté de geste vertigineuse. Il y a là les signes, épurés à l'extrême, de ce que l'artiste nomme "le côté sombre", l'inexorable triomphe de la mort. Mais pas plus sur le papier que dans le bronze, Baselitz ne cède à la facilité du pathétique. La mort, il la défie. Il joue avec elle et lui tient tête obstinément.


Le Côté sombre, Georg Baselitz. Galerie Thaddaeus Ropac, 69, avenue du Général-Leclerc, Pantin (Seine-Saint-Denis). Tél. : 01-55-89-01-10. Du mardi au samedi de 10 heures à 19 heures. Jusqu'au 31 octobre.Ropac.net

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