dimanche 15 septembre 2013

Le courant continu stimule les neurones

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Des neurones.
Des neurones. | D.R.

 Une pile de neuf volts, deux électrodes : la neurostimulation peut commencer. Paulo Boggio, chercheur en neurosciences cognitives à l'université Mackenzie de Sao Paulo, module le courant, ne dépasse jamais les deux milliampères. La charge électrique vient chatouiller le crâne du sujet, la sensation est suave. Pourtant, le dispositif paraît rudimentaire, voire grossier. Le sujet porte de part et d'autre de la tête deux éponges découpées en carrés, accrochées à l'aide de bandes élastiques. Elles enveloppent deux fils électriques, ce sont en fait les électrodes. Imbibées de sérum physiologique, elles laissent passer le courant.
"C'est simple, indolore, et pas cher", résume Paulo Boggio. Et cela marche. La stimulation transcrânienne par courant continu (tDCS) module l'humeur, la concentration, la mémoire, l'apprentissage. L'objectif est de soigner une dépression, de soulager les douleurs ou d'aider le patient à retrouver ses capacités cognitives et motrices après un accident vasculaire cérébral.
DÉROUTANTE SIMPLICITÉ
L'idée n'est pas neuve. Déjà, dans la Rome antique, Scribonus Largus, médecin de Claudius, posait des raies électriques sur le front des patients. Il y a aussi eu les électrochocs, remis au goût du jour sous le nom d'"électroconvulsivothérapie". Mais, dans ce cas, il y a anesthésie générale et déclenchement de crise d'épilepsie. Le courant est bref et élevé. Dans la tDCS, le courant est continu, infime. Il s'agit de"moduler subtilement l'activité spontanée des neurones", explique Alberto Priori, chercheur à l'université de Milan. Le courant continu sensibilise les neurones en augmentant ou en diminuant leur potentiel membranaire. Et les rend plus ou moins prompts à décharger.
Depuis dix ans, les études avec tDCS explosent, leur nombre a doublé entre 2010 et 2011. Cet enthousiasme provient de sa déroutante simplicité. Contrairement à toute une gamme de techniques de neurostimulation, elle est "non invasive" : les électrodes ne sont pas implantées dans le cerveau mais simplement posées à sa surface. Aucun effet secondaire non désirable n'a encore été répertorié.
Début février, une étude conséquente publiée dans la revue JAMA Psychiatry confirmait l'amélioration de l'humeur de patients dépressifs après six semaines de sessions de tDCS, contrôlée par les scores sur l'échelle de dépression Montgomery-Asberg. En 2011, c'était l'amélioration de la mémoire visuelle chez des patients atteints d'Alzheimer qui était prouvée, avec des effets qui restaient mesurables quatre semaines après les sessions de tDCS. Des études ont aussi été menées chez des patients atteints de troubles de langage (aphasie), qui ont vu leurs capacités augmenter. Dans ce cas, les électrodes avaient été placées au plus proche des régions qui contrôlent le langage (aire de Broca).
"BEAUCOUP D'INCONNUES SUBSISTENT"
Les chercheurs restent prudents : la tDCS n'en est qu'à ses débuts, sans base théorique précise. Les équipes expérimentent, tâtonnent."Cela reste empirique", témoigne Emmanuel Haffen, praticien hospitalier au CHU de Besançon qui coordonne à une étude française portant sur l'impact de la tDCS su la dépression sévère"Beaucoup d'inconnues subsistent", rapporte David Szekely, praticien au CHU de Grenoble, lui aussi associé à cette étude.
En neurosciences, on ne pense plus le cerveau en termes de régions mais de réseaux. Ainsi, si les chercheurs s'appliquent à poser les électrodes sur les régions cibles - il semble logique, par exemple, de stimuler les régions que l'on sait impliquées dans la formation du langage si l'on veut améliorer cette dernière fonction cognitive -, il est impossible de prédire les résultats.
La stimulation peut aussi toucher à d'autres réseaux, d'autres fonctions. Surtout, les études semblent se disperser : dépression, addiction au tabac, récupération de fonctions cognitives chez des patients qui sortent du coma"On cherche à l'appliquer dans beaucoup de pathologies différentes, cela dessert peut-être la technique, admet David Szekely. Mais, derrière, il y a quand même des mécanismes d'action spécifiques." Ainsi, certains groupes, notamment en Allemagne, étudient la technique en elle-même, tentent de comprendre son fonctionnement en travaillant sur des modèles animaux.
"NEUROLOGIE COSMÉTIQUE"
La tDCS en est à l'état de recherche, elle n'est pas encore autorisée comme traitement. Mais, selon Paulo Boggio, elle a un "grand avenir dans le champ médical". Elle pourrait venir en substitution ou en complément aux traitements pharmacologiques, par exemple lorsque le patient est résistant aux médicaments. Des contrôles seraient alors nécessaires : qui pratiquerait la neurostimulation, le patient ou le praticien ? Combien de fois par jour ? Les chercheurs pensent déjà à ces questions pratiques.
Alberto Priori détaille un prototype développé par une start-up rattachée à l'université de Milan et à l'hôpital Maggiore de Milan. Préprogrammable par un médecin, la petite unité peut être utilisée par le patient, chez lui. Distribué par la compagnie britannique MagStim, l'appareil est présenté en kit : un écran électronique pour régler les paramètres, une boîte stimulatrice et un bonnet dans lequel sont placées les électrodes. "A des fins, à la fois, de recherche et d'usage clinique", indique le site de l'entreprise.
La commercialisation n'est pas loin. Et avec elle les dérives de neurostimulation à des fins non thérapeutiques. Stimuler son cerveau pour avoir une meilleure concentration, une meilleure mémoire. On entre dans le champ de la "cognition augmentée". Roy Hamilton, neuroscientifique à l'université de Pennsylvanie, est un des premiers à parler de "neurologie cosmétique""L'amélioration des capacités cognitives commence à avoir un écho dans le public. Cela prend la même voie que la chirurgie esthétique, et les scientifiques doivent être prêts éthiquement", explique-t-il. Selon lui, les neuroscientifiques risquent de subir la pression d'individus non malades - de potentiels clients et non plus des patients. Chirurgie esthétique, amélioration de l'intellect... le parallèle est posé.
La tDCS séduit. Sa simplicité est aussi à redouter, et avec elle l'amateurisme. Sur YouTube, on découvre ainsi un tDCS "fait maison" :"J'ai branché mon cerveau avec le tDCS et je suis toujours VIVANT !",se vante l'internaute. Le propos est atterrant : "Je pensais que cela me ferait plus de choses." Si, dans les expériences en laboratoire, aucun effet négatif n'a encore été reporté, de telles pratiques alertent les scientifiques.

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