samedi 7 septembre 2013

La violence dans le couple saisie au plus près

LE MONDE | Par 
La jeune photographe américaine Sara Lewkowicz a su entrer dans l'intimité de cette famille.
La jeune photographe américaine Sara Lewkowicz a su entrer dans l'intimité de cette famille. | SARA LEWKOWICZ/REPORTAGE BY GETTY IMAGES
Le thème de la violence conjugale, en images, se résume souvent à des portraits de femmes dans des refuges, l'œil amoché. Mais dans le travail de l'Américaine Sara Lewkowicz, exposé à Perpignan pour les 25 ans dufestival Visa pour l'image, la violence surgit sous nos yeux, en direct. Cette jeune photographe, qui a reçu le Prix de la ville de Perpignan Rémi Ochlik, montre de façon remarquable la vie d'avant et d'après les coups. "La violence ne surgit pas de nulle part, dit cette petite femme brune au regard décidé. C'est un processus, et le résultat d'une relation marquée par l'agression – même si, au départ, elle n'est pas physique."
Au début, étudiante en photo à l'université d'Ohio, elle voulait seulement travailler sur la difficulté de se réintégrer après une incarcération. Lors d'une fête foraine, elle sympathise avec un jeune couple : Shane, 31 ans, juste sorti de prison, a du mal à trouver du travail avec ses tatouages qui lui mangent la figure. Mais il veut recommencer une nouvelle vie avec Maggie, 19 ans, et ses deux enfants nés d'un autre père.
Sara Lewkowicz va passer du temps avec la famille, au point d'entrer dans leur intimité : dans ses images étonnantes, c'est comme si elle n'était pas là. "J'ai gagné leur confiance en parlant avec eux, et en parlant de moi, dit-elle. Si vous voulez que les gens s'exposent, il faut s'exposer aussi."

"COMME UN BOUCLIER"
Pendant plusieurs mois, Sara Lewkowicz photographie les moments de tendresse et de gaîté, mais aussi la tension. Entre Maggie et Shane, très dominateur, les disputes sont fréquentes. Le fils de Maggie, 5 ans, rejette ce père de substitution. Un jour, après une dispute, Shane jette Maggie contre la cuisinière, lui serre violemment le cou, sous les yeux de la petite fille de 2 ans, affolée, et de la photographe. Sara Lewkowicz va montrer toutes les étapes du drame : la violence, les cris, la police qui arrive, la visite médicale, l'arrestation de Shane
Sa série, rare, connaît un succès immédiat sur le site Lightbox. Mais une avalanche de critiques et d'insultes accueille la photographe : au lieu de blamer Shame, les internautes pointent du doigt la photographe. "Les gens pensent qu'à ma place ils auraient été "héroïques" et se seraient s'interposés. Mais si vous n'êtes pas formé à ce genre de situation, vous ne faites qu'empirer les choses. Je mesure 1,55 m !" Sur le moment, la photographe a confié son téléphone à un des colocataires pour qu'il appelle la police en se cachant dans la salle de bains. "Je voulais rester avec Maggie. J'ai pris mon appareil... c'était comme un bouclier."
UN BEAU PORTRAIT

Par-delà la peinture de la violence, la série est surtout un beau portrait d'une relation déséquilibrée. "Il y avait de nombreux signes, dit la photographe, que je n'ai su lire qu'après." Entre autres, chez Shane, une volonté de dominer l'autre, un amour trop exclusif et extrême – "les déclarations d'amour et la jalousie ne sont pas du romantisme", rappelle la photographe. Celle-ci consacre la moitié de ses images à la nouvelle vie de Maggie, qui, sans ressources et avec deux enfants à charge, a choisi de quitter Shane – ce que beaucoup de femmes dans son cas hésitent à faire."Je ne voulais pas la réduire à un rôle de victime, elle est tellement plus que ça."
Festival international du photojournalisme. Shane et Maggie : portrait d'une violence domestique, jusqu'au 15 septembre, au couvent Sainte-Claire, rue Général-Derroja, Perpignan (Pyrénées-Orientales). Gratuit, jusqu'au 15 septembre. saranaomiphoto.com

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