lundi 19 août 2013

Comment les jeunes du "9-3" apprivoisent Paris

LE MONDE | Par 
Pour les jeunes de Seine-Saint-Denis, le quartier des Halles est le point d'entrée dans Paris. Ils y accèdent directement en RER et y retrouvent des enseignes familières (H&M, McDonalds...).
Pour les jeunes de Seine-Saint-Denis, le quartier des Halles est le point d'entrée dans Paris. Ils y accèdent directement en RER et y retrouvent des enseignes familières (H&M, McDonalds...). | JACQUES DEMARTHON/AFP
Autour de la fontaine des Innocents, les grappes de "minots" en sweat sautent aux yeux. La petite place du 1er arrondissement de Paris, à côté des Halles, est le point de rencontre des jeunes des cités dans la capitale."L'avantage des Halles est de bénéficier d'une centralité – c'est accessible en RER depuis leur banlieue – et de n'être pas intimidant pour eux",explique Fabien Truong.
Le travail de ce doctorant du département de sociologie de l'université Paris-VIII remet en question un cliché bien ancré : les jeunes de banlieue,"enfermés dans leur quartier", ne se déplaceraient pas et ne franchiraient pas le périphérique. Faux, rétorque-t-il : ils ont simplement un usage particulier et limité de la capitale.

En ces vacances d'été, les adolescents sont assis sur les marches, un kebab sur les genoux, ou agglutinés autour de la fontaine des Innocents pour s'arroser. "C'est l'endroit le plus connu. J'y viens souvent avec des amis",explique Rayan, 15 ans, qui habite Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise). Ahmed, assis en jean et baskets à son côté, vient moins souvent – "s'il fait beau" – mais toujours "à plusieurs". En général ici, "pour faire le tour des magasins". Et draguer les filles. "Paris c'est une ville magique", lance-t-il, les yeux qui s'allument.
A en croire M. Truong, les jeunes habitants de Seine-Saint-Denis viennent souvent dans la capitale. Mais dans un Paris où ils ne se sentent pas observés, jaugés. Avec une destination, quasi unique : les Halles.
Le chercheur a mené de 2004 à 2010 une enquête dans quatre lycées de Seine-Saint-Denis – à Aubervilliers, Stains, Saint-Denis et La Courneuve – où il a enseigné les sciences économiques et sociales. Les conclusions de son étude ont été publiées en 2012 dans la revue en ligne Métropoles. "J'ai voulu avoir un regard qui sorte d'une "sociologie du ghetto", cette vision culturaliste des banlieues pleine d'idées préconçues", explique M. Truong. Son échantillon est constitué d'une forte majorité d'élèves issus de milieux populaires et de l'immigration. Tous sont d'abord perçus comme des banlieusards et le savent.
C'est souvent lors d'une visite scolaire que les élèves de banlieue font leur première expérience de la capitale. Ils découvrent le Paris des musées et des monuments historiques, avec excitation et émerveillement. "Ils se "sapent", se font beaux, mais ils n'ont pas les clés, ils se sentent déplacés",remarque M. Truong après avoir maintes fois accompagné ses classes."C'est beau, c'est blanc, c'est propre", lui a dit un jour un élève. Ces quartiers incarnent un Paris exotique, désirable, où ils sont en voyage mais qui n'est "pas pour eux". Ils ne vont pas non plus dans les quartiers populaires de Paris qui leur "rappellent trop la banlieue".
"C'EST PLUS CLASSE"
"Leur" Paris se trouve dans un petit périmètre du 1er arrondissement, le quartier de Châtelet-Les-Halles. C'est le "haut lieu parisien de la socialisation juvénile banlieusarde", décrit M. Truong. L'environnement leur permet d'être eux-mêmes, avec leurs codes vestimentaires, leurs attitudes, sans détonner. Ici, ils ne se sentent pas illégitimes : ils sont au coeur de rues et de commerces de consommation de masse, aux repères de culture populaire, avec les marques qu'ils préfèrent. C'est un lieu où ils peuvent rencontrer d'autres jeunes, venus d'autres quartiers. Dans le Forum des Halles, c'est leur musique qui est diffusée. On peut aussi aborder les filles ou les garçons, sans se faire juger comme dans la cité."C'est comme le centre commercial de Paris Nord, en plein Paris. C'est plus classe quand même", témoigne une des jeunes de l'étude. On est loin du Paris intimidant, historique et bourgeois.

Les jeunes du "9-3" sentent souvent dans le regard des autres qu'ils ne sont pas des Parisiens. Mais ils refusent vivement les termes de "racaille" ou de "ghetto". 78 % des élèves de l'échantillon de M. Truong estiment qu'ils ne vivent pas dans un ghetto. Quand ils parlent de leur quartier, les mots qu'ils utilisent le plus fréquemment sont "normal" ou "pépère".Comme le souligne M. Truong, "un lieu intégré au territoire national mais stigmatisé à tort".

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